Portrait de femme sans domicile fixe, Paris, 1992 - © Olivier Coulange / Agence VU'

22 novembre 1993. Xavier Emmanuelli fonde le Samu social de Paris, pour aller à la rencontre de celles et ceux qui vivent ou survivent dans la rue. Aller vers et aller voir… Un mois plus tard, veille de Noël, j’embarque dans l’un des camions de cet autre Samu. Le médecin accueille, pour la première fois, une journaliste à bord. En route pour une maraude d’un soir dans le froid hivernal. Infernal voyage jusqu'au bout de la nuit, rythmé par des sans-abri accueillis, réchauffés, réconfortés, puis conduits jusqu’au centre d’hébergement de Nanterre, pour une douche, une place dans un dortoir, un lit recouvert d’un drap en papier… Je n’ai jamais oublié le champagne servi dans des flûtes en plastique ce soir de réveillon, à minuit, dans le camion qui affichait complet entre bénévoles et sans-abri. Le chauffeur s’était garé quelques minutes dans le XIVe arrondissement. Histoire de marquer le coup, « faire un peu la fête » comme il disait, avant l’arrivée à Nanterre. Près de trente ans plus tard, lorsque j’ai appris que le groupe immobilier Galia venait de réhabiliter un immeuble au profit du Samu social de Paris, j’ai voulu savoir ce que l’on proposait depuis les draps en papier de Nanterre, ce qui avait changé, ce qui pouvait redonner un peu d’espoir aux plus démunis… J’ai aussi sollicité le photographe Olivier Coulange. Et pour cause : à l’orée des années 1990, il a passé trois ans en immersion à l’Armée du salut, où on lui avait attribué un lit de camp. Son surnom, chez les sans-abri, c’était « la photo ». Pour 1 Epok formidable, Olivier Coulange a sorti de ses archives des portraits de femmes sans domicile fixe et celui d’une petite fille, immortalisée dans un dortoir de l’Armée du salut. Ces images font écho à l’immeuble réhabilité par Galia et baptisé « Ariane », qui reçoit des familles.

Les femmes retrouvent autonomie, sécurité, stabilité

Appartement, immeuble "Ariane", Paris 14e - © Luc Boegly

Cuisine commune, immeuble "Ariane", Paris 14e - © Luc Boegly

18 novembre 2021. Il fait frais à 9 heures du matin, rue de Ridder, à deux pas des voies ferrées de Montparnasse et des TGV en partance pour l’Atlantique. Au numéro 19, un immeuble d’angle, flambant neuf, accueille depuis un an des femmes et leurs enfants qui, autrefois, vivaient dans des hébergements d’urgence, des hôtels, des squats… C’est le deuxième bâtiment francilien que le groupe immobilier Galia réhabilite pour le Samu social de Paris. Un projet, qui s’étend sur 1 580 m2, mené avec l’agence d’architecture CoBe et le duo d’architectes d’intérieur Kristian Gavoille-Valérie Garcia. Car, l’idée, c’est de « faire du beau », souligne Brice Errera, le président de Galia. Du beau et du bien… Dans ce type de structure, qui propose 37 logements - du studio au 5 pièces, tous avec cuisine et salle de bains -, les femmes retrouvent autonomie, sécurité, stabilité. « Nous travaillons sur un projet social, nous aidons à l’intégration, les enfants sont inscrits à la crèche ou scolarisés dans le quartier », détaille Catherine Sellier, directrice du pôle hébergement et logement au sein du Samu social parisien, où elle travaille depuis 1994. À cela s’ajoute la présence au quotidien de travailleurs sociaux, un accompagnement médico-psycho-social, des séances de formation ou encore des activités culturelles. Le tout avec le soutien de la mairie et de la préfecture. Au total, 130 personnes vivent dans cet immeuble, parmi lesquelles 70 enfants. Dans la cuisine commune du rez-de-chaussée, une femme se prépare un café, une autre vient bavarder. Les ordinateurs du salon permettent à certaines résidentes de travailler. Dans le hall d’entrée, c’est un ballet de poussettes qui entrent et sortent, en ce début de matinée. Quant à la salle de jeux, elle permet aux enfants de se faire quelques copains. Enfin, au dernier étage, un appartement collectif accueille des femmes enceintes. « Un tiers de ces familles ont déjà un revenu et sont en attente d’un logement social. Un autre tiers n’ont jamais eu de véritable habitation. Un dernier tiers ont entamé des démarches de régularisation de leurs papiers », explique Catherine Sellier.

La survie, sans toit ni loi, cabosse et laisse des traces

Portrait de femme sans domicile fixe, Paris, 1992 - © Olivier Coulange / Agence VU'

Alors, bien sûr, tout n’est pas toujours rose au quotidien dans l'immeuble « Ariane ». Car la survie, sans toit ni loi, abîme, cabosse, laisse des traces et quelques habitudes. À l’instar des tickets service, destinés à l’achat de biens de première nécessité, qui se troquent contre de l’argent dans le quartier de Château Rouge… Mais Catherine Sellier en a vu d’autres. Elle sait composer, tempérer, apaiser et surtout être patiente. Car il faut du temps pour s’adapter à de nouveaux repères, cadres et codes. Il faut du temps aussi pour mener à bien une réhabilitation d’immeuble au profit d’une bonne cause : il a fallu six ans pour concrétiser le projet « Ariane ». Quand d’aucuns jetteraient l’éponge, Brice Errera, lui, poursuit sur sa lancée avec le Samu social de Paris. « D’ici à dix-huit mois, nous aurons terminé une résidence destinée aux femmes en sortie de maternité, rue du Soleil, dans le XXe arrondissement », confie-t-il. Quant à Catherine Sellier, elle évoque trois projets en Seine-Saint-Denis d’ici à 2022, ainsi que l’ouverture d’une pension de famille dans le XVe en 2023. Elle aimerait aussi développer des propositions d’hébergement pour les hommes isolés : « Il ne faut pas les oublier ». Et ce, même si « dans la seule nuit du 17 au 18 novembre derniers, pas moins d’une cinquantaine de femmes ont appelé le Samu social de Paris, faute d’hébergement dans la capitale ».

Le projet « Ariane » a reçu le Grand Prix ESSEC 2020 de la ville solidaire et de l’immobilier durable. Galia et le Samu social de Paris sont également lauréats du Prix Ville hospitalière pour leur initiative « d’héberger autrement ».

Le photographe Olivier Coulange est ICI et aussi .