Pendant longtemps, personne ne pouvait entrer. Il fallait coller son nez à la baie vitrée pour apercevoir quelques objets de curiosité, des skates, des photos accrochées, des bacs remplis de 33 tours… Rami Mekdachi n’ouvrait son studio-bureau, au faux air de MJC, qu’à ses équipes et quelques amis. Depuis cet hiver, la donne a changé. Chaque samedi, de midi jusqu’à 18 heures, on peut pousser le porte, comme ça, sans prévenir, venir comme on est et découvrir l’environnement du fondateur de Lola James Harper. C’est quoi ça ? L’assemblage de deux prénoms trouvés par les enfants de Rami Mekdachi et la traduction de « harpiste » en anglais, choisie par sa femme, pour baptiser une marque dédiée au « lifestyle ». Ici, le « lifestyle » n’a rien d’un mot fourre-tout, passe partout, d’une soi-disant « coolitude » ou autre sémantique bobo-branchouille. Quand Rami Mekdachi parle de « style de vie », c’est une façon de voir, savoir, bouger, voyager, écouter, toucher, sentir… Tous les sens sont en éveil. Le tout rythmé par les chemins de traverse qu’il a arpentés et arpente encore. Les quatre mois de congés scolaires sont consacrés au voyage. Aux Etats-Unis de préférence, avec un hôtel différent chaque soir et des étapes sur les campus universitaires. « Lola James Harper, c’est un univers », dit cet enfant de la guerre. Né à Beyrouth en 1970, il a 5 ans quand ses parents quittent leur pays à feu et à sang, pour rejoindre Paris. Là, le jeune Rami se doit d’être exemplaire. Scolarité au lycée Camille Sée, prépa HEC, puis inscription à Emlyon business school. En coulisses, l’ado fan de musique et de photo crée un groupe punk, monte un festival de rock, reçoit son premier choc cinématographique avec Paris Texas, qu’il voit à sa sortie en 1984. Du punk, il a gardé l’envie de confier une guitare à des non-musiciens. Du duo Wim Wenders-Sam Shepard, il a conservé le goût de la route et de l’errance. S’il apprécie les échappées en voiture, « parce que j’aime rouler en écoutant de la musique », les trains l’inspirent tout autant. L’été dernier, il a sillonné l’Italie grâce au réseau ferré. « Dans le train, on regarde sur le côté. » Une façon de dire que les paysages qui défilent font partie de sa vision du « lifestyle ». Ce qu’il préfère ? « Voler l’ailleurs en une journée. » Traduction : quitter Paris le matin, déjeuner et traîner à Londres l’après-midi, rentrer se coucher aux Batignolles, « mon village », où il vit depuis vingt-cinq ans.

« L’amitié, c’est une valeur suprême »

Quand on lui demande ce qu’il fait dans la vie, Rami Mekdachi répond « archiviste ». Il suffit de se balader dans son studio pour comprendre. Car c’est ici qu’il pose et entrepose toute ses vies. Ancien photographe à Rock & Folk, les murs sont recouverts de ses images. Musicien et compositeur, guitares et batterie sont à dispo. Créateur de bougies et parfums – « ce ont des notes, comme en musique » -, on peut sentir toutes ses fragrances. À commencer par celles réalisées, à l’orée des années 2000, pour l’Hôtel Costes et le concept-store Colette. Puis il soulève une cloche en verre et c’est l’odeur de la terre de Beyrouth qui s’échappe, une autre cloche encore et on est en direct de Big Sur… Réalisateur, son film With, a journey to the slow life, primé cinq fois, est projeté sur grand écran… Il ouvre tout, montre tout, comme un gosse qui invite à venir dans sa chambre et partage ses jouets avec ses copains. D’ailleurs Rami Mekdachi place l’amitié au-dessus de tout : « C’est une valeur suprême. » Le studio mêle poésie, fantaisie, un brin de nostalgie et des tas de souvenirs. Quand il ouvre au public, tout ce qui est posé, exposé, est à vendre. Comme lorsque Lola James Harper avait son espace de 300 m2 au Bon Marché, avec des concerts et autres improvisations musicales chaque week-end. L’aventure a duré sept ans avec le grand magasin de la rive gauche. Jusqu’au premier confinement.

Dopé à « l’énergie des villes »

Aujourd’hui, Rami Mekdachi reçoit dans une annexe de chez lui. C'est comme ça qu'il perçoit son studio. Avec un thé exclusif de la maison Dammann Frères et un café, également concocté pour son QG, par Terres de café. Ici, pas de capsule : la tasse attend que ça passe... Optimiste malgré le contexte sanitaire, le fondateur de Lola James Harper cumule les projets, dont un film consacré au basket. Quelques hôteliers commencent aussi à le solliciter pour s’imprégner de son univers et le dupliquer par petites touches dans des chambres, salons, salles de resto… Déjà présent, notamment avec ses bougies, dans quelque 400 points de vente dans le monde, Rami Mekdachi développe aussi une ligne de vêtements. Il raconte tout ça au rythme des 33 tours de Stan Getz ou des Cure, qu’il retourne toutes les vingt minutes. Une autre notion du temps, que l’on ne voit pas filer dans cet espace planqué, rue Nollet. Ici, pas de posture, ni d’imposture. Que du vrai et du vécu par un citoyen du monde, dopé à « l’énergie des villes ». « Et quand il y a la nature, c’est la mer », confie-t-il. Rencontrer Rami Mekdachi, c’est plonger dans un bouillon de cultures. Et, pour lui, « changer de culture, c’est voyager ».

Lola James Harper, c’est aussi ICI.