Il se fait attendre. Normal. Il pleut ce jour-là à Paris et Pierre Poligone a enfourché un Vélib’ sur du bitume mouillé, glissant, casse-gueule. Il a ramé aussi à trouver une station pour larguer le deux-roues du côté du carrefour de l’Odéon. Parce qu'il donne ses rendez-vous au café Les Éditeurs, le bien nommé pour parler du lancement des éditions 49 Pages, qu’il vient de fonder. Pourquoi « 49 Pages » ? Parce que les livres publiés par cette nouvelle maison comptent tous 48 pages, auxquelles s’ajoutent une carte postale « pour que le lecteur écrive à son tour ». Un format court pour sortir du rang et parce que « la littérature n’a pas besoin d’être longue pour être vivante », explique Pierre Poligone, qui privilégie la qualité à la quantité. Il parle de textes « plus exigeants », plus « insolents » aussi. À l’instar du premier volume intitulé Départ de feu, qui contient 14 « récits incendiaires », brefs, intenses, nerveux, de 14 écrivains contemporains – de Lisa Delille à Nicolas Chemla, en passant par Frédéric Perrot… – , qui évoquent chacun un moment précis de leur existence où tout a basculé…
Il a lu Le Seigneur des anneaux à 10 ans
Gamin, Pierre Poligone rêvait de devenir chercheur de trésors. Il a aussi voulu être « explorateur des mers », jusqu’à ce qu’il se fasse piquer par une méduse à l’âge de 5 ans… Quant à sa passion pour les livres, il la doit à ses parents qui l’encourageaient à lire. Il se souvient de ses heures passées à la bibliothèque municipale de la rue Chaptal, dans le IXe arrondissement de Paris. « Je suis né en 1993. J'ai grandi avec Harry Potter », confie-t-il. Mais son premier fait d’armes reste la lecture du Seigneur des anneaux à 10 ans, « pendant que mon frère jouait avec sa Game Boy ». « La littérature pour oublier le monde », dit-il encore. La suite ? Un bac littéraire au lycée Condorcet, des études de lettres et de philo à la Sorbonne, un Master 2 « Théorie de la littérature » à Normale Sup’, jusqu’à un doctorat sur « les rapports entre écriture, souffrance et mystique dans l’œuvre de Simone Weil, Joë Bousquet, Béatrice Douvre et Vincent La Soudière ». Parallèlement à ce cursus, il co-fonde en 2012, avec Sébastien Reynaud, le média culturel Zone Critique. Une aventure éditoriale qui va durer 10 ans pour Pierre Poligone, qui enseigne en parallèle. D’abord le français et le latin dans des lycées de Sevran et Villepinte, en Seine-Saint-Denis, puis la littérature comparée à la Sorbonne. De ses cours dispensés en banlieue, durant 5 ans, à des jeunes éloignés des livres, il se souvient avoir « parlé plus lentement », « lu des textes à voix haute » et « prôné le texte court, comme la nouvelle », pour donner envie de lire aux plus récalcitrants.
La Bible en BD, Métal Hurlant et Suicide, mode d’emploi…
Curieux de tout, Pierre Poligone lit de tout. Dante comme Musso, Philosophes à vendre de Lucien comme le dernier Marc Lévy… Chez lui, entre le Panthéon et le jardin du Luxembourg, il stocke « plus de 5 000 livres » : « Les murs de l’appartement en sont recouverts. » Une bibliothèque dotée d’un enfer, où trône notamment le sulfureux Suicide, mode d’emploi… Tout un univers – où la Bible en BD côtoie des numéros de Métal Hurlant… – qui sert aussi de bureau aux éditions 49 Pages. Le concept de cette nouvelle maison, au-delà de ses textes ramassés ? C’est inciter à s’abonner, pour recevoir chaque mois un nouvel ouvrage et, ainsi, compléter une collection de récits courts, enlevés, signés par la fine fleur de la littérature actuelle. Citons, par exemple Ève Guerra, Goncourt 2024 du premier roman pour Rapatriement (Grasset), qui publie Les amours rudimentaires en novembre 2025, chez 49 Pages. Sensible au bel objet, Pierre Poligone a opté pour un format 10 x 14 cm, qui se glisse dans une poche, confié la direction artistique de sa maison d’éditions à la talentueuse Esther Szac et privilégié une fabrication française, en sollicitant une imprimerie strasbourgeoise. Chaque livre est tiré à 949 exemplaires en première intention et vendu 7,49 euros en librairie. L’abonné, pour sa part, bénéficie d’un prix réduit : 49 euros pour 6 mois et donc pour 6 ouvrages. Pierre Poligone vise 200 abonnés, pour voir venir et pouvoir continuer de payer le papier, l’imprimeur, ainsi qu’un à-valoir à chacun de ses auteurs. Sachant que l’éditeur, fonceur, frondeur, un rien joueur, a misé toutes ses économies sur le « 49 », ses déclinaisons littéraires et tarifaires. « Si ça marche, j’ai plein d’autres idées à développer, toujours en format court. » Sinon ? L’« artisan du livre » – comme il se définit – trouvera d’autres subterfuges pour amener à la lecture, mais aussi créer des « sites de rencontres » pour unir et réunir les auteurs.
La maison d'éditions 49 Pages est aussi ICI

