© Succession Madeleine de Sinéty - Paris, 1973

À l’heure du tout à l’ego, où d’aucuns sortent le grand « je », quel rafraîchissement de découvrir le travail de la photographe Madeleine de Sinéty, qui ne s’est intéressée qu’aux autres. Cela se passe jusqu’au 17 mai 2026, au Jeu de Paume du château de Tours. Passée par l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, elle a d’abord travaillé comme dessinatrice de mode pour la presse. Autre de ses faits d’armes : on lui doit l’affiche du film L’Ours et la poupée de Michel Deville, avec Brigitte Bardot et Jean-Pierre Cassel. La photo, c’est en autodidacte. D’abord timidement, à l’orée des années 1970, en immortalisant les rues de son quartier parisien : à savoir Montparnasse, alors en pleine mutation avec l’émergence de la tour éponyme - que la photographe surnomme alors « mirador de cauchemar » - et la métamorphose de la gare… Son œil vif, curieux de tout, s’attarde sur les cafés, ateliers, immeubles vétustes… tous menacés de disparaître, bientôt engloutis par une modernité de verre et de béton. Madeleine de Sinéty traîne aussi du côté des voies de chemin de fer : trains à vapeur, cheminots, mécaniciens… tout l’inspire.

© Succession Madeleine de Sinéty - New York, 1972

Petits vendeurs, ouvriers et sans-abris new-yorkais

Autre terrain de jeu : New York. De 1972 à 1978, Madeleine de Sinéty va traverser l’Atlantique à plusieurs reprises. Lors de ces voyages, la photographe va s’intéresser de près à celles et ceux qui font le Meatpacking District. Ses images montrent des carcasses d’animaux chargées dans un coffre de voiture, un chariot à bras remplis de fruits, des petits vendeurs, des ouvriers, quelques sans abris… tout un monde méconnu, voire ignoré, un quotidien dont la photographe – pourtant née en 1934 au château de Valmer, propriété familiale de la vallée de la Loire - se sent proche. À l’écoute, attentive, sensible, respectueuse de celles et ceux qui passent devant son objectif, Madeleine de Sinéty veut témoigner d’une époque qui, une fois encore, transforme la vie des villes. À l’instar des Halles qui viennent alors d’être détruites au cœur de Paris.

© Succession Madeleine de Sinéty - Poilley, 1974

Maisons, mariages et mort d’un cochon à Poilley

Poilley, Ille-et-Vilaine. C’est ici que Madeleine de Sinéty va vivre de 1972 à 1980. La photographe a un véritable coup de foudre pour ce village de 500 habitants, situé à une soixantaine de kilomètres au nord de Rennes. Il compte une vingtaine de fermes, une école, quelques bistrots et commerces, une église en granit, un cimetière… Madeleine de Sinéty va spontanément participer aux travaux des champs et de la ferme, en toutes saisons, par tous les temps, son appareil photo autour du cou. Une façon de se faire accepter pour mieux immortaliser, ensuite, l’intérieur des maisons, quelques mariages ou encore la mort d’un cochon, puis projeter ces images dans la salle des fêtes de Poilley, pour le plus grand plaisir des habitants. De cette immersion dans le monde rural, Madeleine de Sinéty rapportera 33 280 dispositives couleur et 23 076 négatifs noir et blanc. Une accumulation d’instants, figés à l’instinct, comme autant de fragments de vies qui racontent tout un village.

© Succession Madeleine de Sinéty - Portland, 1995

Foires agricoles, remises de diplômes et sorties scolaires à Rangeley

Enfin, le parcours de l’exposition, fort bien rythmé par les commissaires Jérôme Sother et Quentin Bajac, se termine par un retour aux États-Unis. Après cinq années passées en Californie, Madeleine de Sinéty pose ses bagages à Rangeley, dans le Maine, en 1985. Une Amérique rurale, proche des forêts, des montagnes et d’un lac. Un cadre idéal pour la Française qui devient la photographe attitrée des mariages, foires agricoles, remises de diplômes, sorties scolaires et autre journal local. Disparue en 2011, des suites d’un cancer, Madeleine de Sinéty n’aura eu de cesse de documenter, témoigner et poser un regard juste et humaniste sur des coutumes, lieux, gestes et pratiques, souvent en voie de disparition. Un devoir de mémoire qui fait écho au journal intime de la photographe, dont certains cahiers sont visibles au Jeu de Paume de Tours. Parce que les mots complètent bien les photos. Et vice-versa.

Madeleine de Sinéty – Une vie – Jusqu’au 17 mai 2026 au Jeu de Paume du château de Tours (25 avenue André Malraux – du mardi au dimanche de 14h à 18h), avant de rejoindre le Jeu de Paume à Paris. Et aussi : jeudepaume.org

© Succession Madeleine de Sinéty - Poilley, 1973