Ici Tanger. Port marocain à la pointe du détroit de Gibraltar, les façades lumineuses de la vieille médina lui ont donné le surnom de « ville blanche. QG de nombreux écrivains et artistes à l’orée des années 1950 - dont quelques figures de la Beat Generation, tels Kerouac, Burroughs, Ginsberg… - , Tanger compte aujourd’hui quelque 10 000 habitants. Parmi eux, Françoise et Daniel Aron, qui font les allers-retours avec Paris. La première est à l’origine de deux agences de communication. Le second, photographe, a longtemps façonné l’image de la maison Hermès... Ensemble, ils ont créé, en 2018, la « Fondation pour la photographie – Tanger ». Le couple a eu cette idée « après avoir constaté que le public marocain n’avait pas d'accès à la photographie - expositions, informations... - dans la région tangéroise », explique Françoise Aron. Un pari. Mais en multipliant les événements, le lieu a peu à peu trouvé son public, composé d’amateurs, voyageurs, mais aussi de scolaires et universitaires. L’expo du moment - présentée jusqu’au 31 janvier 2026 - s’intitule « Comment voir les choses ? ». Celle-ci regroupe une sélection fine de natures mortes, qui s’échelonnent « depuis la période surréaliste des années 1930, 1940 et 1950 – avec des travaux de Man Ray, Paul Facchetti… -, jusqu'à aujourd'hui – avec des photos signées Thomas Ruff, Harry Gruyaert, Martin Parr... -, en passant par l’œuvre de la photographe américaine Jan Groover », détaille Françoise Aron. Les raisons de ce casting ? « Nous avons choisi ces artistes pour leur manière de montrer et de souligner le détail d'un objet, d'une ‘mise en scène’, mais aussi pour l’intérêt qu’ils portent à la banalité, voire l'insignifiance de tant d'objets ordinaires », poursuit-elle. Le tout servi par un accrochage mené par un duo de commissaires d’expo, composé par l’éditeur de livres d’art Alexis Fabry et Daniel Aron.

Liège, 1981 - © Harry Gruyaert

© Jan Groover

« Man Ray, Richard Avedon, Brassaï, Riboud…

cohabitent avec des talents marocains »

La « Fondation pour la photographie – Tanger » se situe dans le quartier de la Vieille Montagne, colline verdoyante et enclave paisible qui contraste avec l'effervescence de la médina.  « Le bâtiment a été construit en 2017-2018. Je l’ai dessiné, la construction a été confiée à un architecte, puis une salle souterraine a également été créée », détaille Françoise Aron. Fondation privée, entièrement dédiée à la photo - marocaine et internationale -, elle est la seule en son genre au Maroc. « Chaque année, nous organisons une exposition - d’une durée de 6 mois - autour d’un thème (l’autoportrait, les couleurs du temps, Hollywood inattendu… ), auquel contribuent des artistes choisis par un ou plusieurs commissaires expérimentés », souligne encore Françoise Aron. Quant au reste de l'année, c’est l’occasion de mettre à l’honneur une collection dite « permanente », qui compte une centaine de tirages et s’enrichit régulièrement de nouvelles acquisitions auxquelles s’ajoutent des donations. Françoise Aron se dit ravie du résultat : « Des images signées Man Ray, Richard Avedon, Horst P. Horst, Brassaï, Marc Riboud, ou encore Saul Leiter, cohabitent avec une sélection de photos réalisées par des talents marocains. »

Françoise et Daniel Aron.

Souvenir de « la paix » vue par Daniel Aron, en 2007…

Si j’ai choisi de chroniquer cette expo, organisée à un peu moins de 3 heures d’avion de Paris, c’est à la fois pour la qualité des images présentées et en souvenir de l’été 2007… J’étais alors consignée à Paris pour les besoins d’un magazine, orchestrée par la journaliste Marie-Paule Pellé, pour Perla et Jean-Louis Servan-Schreiber. Il s’agissait d’un hors-série, en grand format, du magazine Psychologies, où les codes du luxe se déclinaient sur les thèmes de la paix, l’espace, l’eau, la beauté, le temps, le silence, la simplicité… Pour incarner « la paix », j’avais interviewé Souhayr Belhassen, alors présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme. Elle avait amorcé notre échange sur ces propos : « Aujourd’hui, au Darfour, en Palestine ou en Israël, parler de la paix relève du mythe. Et c’est pour que ce mythe devienne réalité que nous nous battons tous les jours… » Avait suivi une séance photo dans le studio de Daniel Aron, du côté de la Bastille. Souhayr Belhassen faisait face à l’objectif du photographe, avec un nid en équilibre sur la tête et une colombe en train de s’y poser… Une image aussi poétique que politique, que je n’ai jamais oubliée.

Fondation pour la photographie – Tanger à retrouver aussi ICI.