Le rendez-vous est donné un matin de septembre au Candle Kids Coffee, rue des Couronnes, dans le 20e arrondissement de Paris. Frank Loriou semble y avoir ses habitudes. Il connaît le rituel du « parcours client » : comptoir, commande, paiement, choix d’une place, puis service à table. Il est venu avec un exemplaire de son livre, disponible en librairie depuis le 9 octobre 2025. Un ouvrage dit « Photorama », qu’il a consacré à Jean-Louis Murat, disparu en 2023. Pourquoi ce choix ? « Je lui devais ça », répond le graphiste devenu photographe et connu pour réaliser les pochettes de disques d’artistes « à fort tempérament ». Les premiers albums sur lesquels il a mis sa touche ? Le Phare de Yann Tiersen, en 1998. Suivra le Clandestino de Manu Chao, puis dans la foulée le plus « redouté », « le plus imprévisible » : Jean-Louis Murat. C’était en 1999, pour Mustango. C’est comme ça qu’ils vont se rencontrer, s’apprivoiser, s’apprécier.

Orcival, Grévin et costard Armani

Frank Loriou vu par Richard Dumas

Entre Loriou et Murat, l’histoire démarre et se déroule essentiellement en Auvergne. Du côté d’Orcival, pas très loin de La Bourboule, au cœur du Massif du Sancy. En terres « muratiennes ». Avec des allers, des retours, des pauses, des silences et des tas de souvenirs. Un peu avant leur premier rendez-vous, Loriou avait vu Murat en concert au théâtre Grévin, à Paris, en 1997. Sur scène, Murat portait un costume noir. Au milieu de la représentation, il s’est éclipsé, pour revenir « en jogging et sweat-shirt », décrit Loriou dans son livre. Pas taillé pour Murat, le costard Armani – « à 1 500 balles ! » -, acheté la veille par sa maison de disque : « Que voulez-vous que j’en fasse ? », a-t-il demandé face à la salle comble. Puis, un accessoire est tombé. Réaction de Murat : « Laissez, Emmanuel de Buretel va le ramasser. » Il vise le PDG de Virgin France, présent dans le public… Loriou est bluffé, fasciné par ce « dernier des insoumis » : « J’étais séduit. Pour toujours. »

« Nous étions proches »

Point commun, loin d’être anodin, entre Loriou et Murat : ils ne sont pas de Paris. Le premier vient de Bretagne. Le second, du centre de la France. Des racines qu’ils revendiquent tous les deux. Tout comme leurs « origines modestes », résume Loriou. Des similitudes qui rapprochent, créent du lien et vont déboucher sur 9 pochettes d’albums, une pléiade de sessions photo, le tout sur une vingtaine d’années. Loriou fera même des haltes à Orcival, en famille, durant des périodes de vacances. « Nous étions proches », confie-t-il. Ça se sent et ça se voit dans le livre que Loriou consacre à Murat : « J’avais envie de partager ce que j’avais vécu. » Si bien que même les images floues font partie de la sélection des 150 photos, toutes en couleur.

« Je suis comme un chef qui cuisine un plat sans le goûter »

Le parcours de Loriou ? Un CAP de vendeur en librairie, des jobs dans le secteur de l’imprimerie en Bretagne, où il est, tour à tour, monteur offset, photograveur, graphiste… Lorsqu’il « monte » à Paris, il intègre d’abord le service graphique de Virgin France, avant de jouer les « indé » et se mettre à son compte. Son nom est associé à des pochettes d’albums de Miossec, Luke, Thomas Fersen, Dominique A, Françoiz Breut… Inventif, imaginatif, il crée des images, des univers, bien souvent sans brief et sans pouvoir écouter les disques finalisés. « Je suis comme un chef qui cuisine un plat sans le goûter. » Faute de découvrir les mélodies, il prend le temps d’échanger avec l’artiste, il le laisse conter, raconter, se confier. « Je me fie à ce que je sens de la personne, je fais un état des lieux, puis je propose une direction. »

« Quand on photographie quelqu’un, on le connait »

La photo ? C’est arrivé sur le tas et sur le tard. « Un jour, Yann Tiersen m’a demandé des images. J’ai dit ‘non’ et je me suis dit : ‘c’est la dernière fois que je dis non’ ». C’est comme ça que Loriou a commencé à pratiquer la photo. D’abord à titre perso, en immortalisant les petits riens du quotidien : « C’est le ‘faire’ qui m’intéresse. » Puis en se positionnant sur le marché de l’image, avec son regard « comme une écriture », une préférence pour l’argentique et le numérique pour répondre aux commandes. Pour Loriou, « la photographie, c’est un travail basé sur la rencontre et l’intensité de celle-ci. Quand on photographie quelqu’un, on le connait. » D’où cette complicité en particulier avec Murat. Une relation unique qui suinte à chaque page du livre. Un ouvrage avec lequel le photographe compte « faire une tournée des médiathèques » à travers la France, mais aussi animer des ateliers sur la création de pochettes de disques. Avec un public de jeunes en ligne de mire, pour expliquer, raconter, transmettre, donner envie de réécouter la musique de Murat... Enfin, pourquoi Loriou a-t-il confié l’écriture de la préface de son livre au philosophe Charles Pépin ? « Parce qu’il voulait rencontrer Jean-Louis Murat. Il m’avait sollicité pour cela. Mais rien n’a pu se concrétiser à temps. J’ai donc provoqué le rendez-vous dans ce livre. »

Jean-Louis Murat – Photorama : photographies et textes de Frank Loriou – préface de Charles Pépin – Éditions Le Boulon – 38 euros