Le rendez-vous est donné au café Les Éditeurs, à Odéon. Un endroit parfait pour parler de livres, d’auteurs, de libraires, librairies et autre rentrée littéraire, rythmée par ses nombreux prix. Marie-Rose Guarniéri est à l’heure et installée sur une banquette rouge du bistrot parisien. Figure de l’écriture, elle a créé – en toute indépendance - la librairie des Abbesses en 1997, puis fondé un an plus tard le prix Wepler, avec le soutien de la Fondation La Poste et de la brasserie Wepler, place de Clichy. Signe particulier de cette récompense : à chaque édition, le jury s’ouvre à une détenue du centre pénitentiaire de Rennes, où les peines purgées sont parmi les plus longues pour des femmes en France. « J’ai eu cette idée en parlant avec des clients de la librairie venus acheter des ouvrages destinés à des personnes incarcérées », confie Marie-Rose Guarniéri. La Parisienne ajoute : « Si j’étais moi-même en prison, j’aimerais que l’on m’envoie de la lecture… pour m’évader. »
« Le métier de libraire indépendant, c’est un sport de combat »
« Les livres me guident. » Et ce depuis toujours. Gamine, Marie-Rose Guarniéri dévorait les volumes de la bibliothèque rose et verte. Son premier choc littéraire ? « L’Étranger de Camus, j’étais en classe de 5e. » Une fois son bac en poche, elle s’inscrit en fac de lettres, suit des cours de théâtre et prépare le concours pour intégrer le conservatoire national de Paris. En vain. Son premier job ? Ce sera chez Gibert, boulevard Saint-Michel. Elle bosse au rayon littérature. Elle va y rester deux ans, le temps de s’apercevoir qu’elle aime « être au milieu des livres ». Cernée par eux, elle se sent comme protégée, rassurée et surtout libre. Une liberté qu’elle va cultiver et cultive encore. D’abord en dirigeant la librairie L’Arbre à lettres, durant dix ans, rue Mouffetard. Puis en osant se lancer seule, rive droite, avec la librairie des Abbesses. « Le métier de libraire indépendant, c’est un sport de combat », dit-elle. Surtout en 2025, à l’heure des mails et des portables, « qui ont des effets sur le désir de lire ». Elle fustige tout autant le télétravail et la vie de certains constamment entre deux trains et deux villes, « car il faut être sédentaire pour faire une bibliothèque ».
En quête du pas de côté
Lorsqu’elle fonde le prix Wepler-Fondation La Poste en 1998, Marie-Rose Guarniéri ne veut pas donner vie à une énième récompense dans le milieu littéraire parisien. Elle cherche le pas de côté. D’où son parti pris pour « faire connaître de nouveaux auteurs ». Ce qui l’incite à comparer le prix Wepler avec « Un certain regard », la section dérivée de la sélection officielle du Festival de Cannes… « En marge des grands prix de la rentrée littéraire, on trouve le prix de Flore, le prix Décembre et le prix Wepler », poursuit-elle. Autant de récompenses qui font l’objet d’un bandeau autour des ouvrages primés, afin de mieux les repérer dans les rayons et autres comptoirs de présentation.

La librairie des Abbesses, créée en 1997 par Marie-Rose Guarniéri, se situe 30 rue Yvonne le Tac, à Paris 18e.
Deux parloirs téléphoniques
« Le jury du prix Wepler, ce n’est pas une bande de copains qui va récompenser d’autres copains. Personne ne se connaît avant d’échanger, voter, délibérer », prévient Marie-Rose Guarniéri. La douzaine de membres changent chaque année et les profils retenus sont avant tout des lecteurs. Parmi eux, on trouve des libraires, des journalistes, des étudiants ou encore un postier sélectionné dans le cadre d’un concours organisé - en interne - par La Poste. Quant à la détenue – cette année, elle s’appelle Sophie -, elle est choisie par une médiatrice de la prison de Rennes. Puis, elle reçoit – dans sa cellule - une centaine de livres entre mai et août, qu’elle doit lire durant cette période. « Une activité dite qualifiante, au même titre qu’un travail, qui peut jouer sur une éventuelle remise de peine », détaille Marie-Rose Guarniéri. Les ouvrages receptionnés, lus, notés, sont ensuite prêtés à d’autres détenues, offerts à la bibliothèque du centre pénitentiaire ou gardés par la jurée, qui participe à deux parloirs téléphoniques avec l’ensemble du jury. « Nous voulons entendre cette lectrice, nous voulons partager sa sensibilité », souligne la fondatrice du prix Wepler. Elle ajoute : « Nous avons une responsabilité vis-à-vis des personnes qui ont un accident dans leur parcours et se retrouvent, un jour, derrière des barreaux. »
Permission de sortie
« Même à distance, la participation d’une détenue aux délibérations, c’est humainement très fort. » Marie-Rose Guarniéri se souvient encore, avec émotion, de la visite à la librairie des Abbesses d’une ancienne jurée du prix Wepler, à l’occasion d’une permission de sortie. Quant à l’écrivain Éric Chevillard, prix Wepler 2004 avec Le vaillant petit tailleur (Minuit), il a tenu une correspondance avec la détenue membre du jury de l'époque, « car ils avaient Dijon en commun », raconte la libraire. Cette année, les jurés comptent sur Sophie pour affiner sa sélection fin août et voter le 6 septembre. Une 28e édition du « Wepler » qui récompensera deux œuvres littéraires, « contemporaines, innovantes et inclassables », avec un prix et une mention spéciale. Les ouvrages en compétition seront annoncés le 8 septembre et les lauréats de ce cru 2025 récompensés le 10 novembre. Le carton d’invitation pour participer à la fête ? Ce sera, comme d’habitude, l'affiche du prix – à garder, scotcher, encadrer, collectionner… - illustrée, cette année, par l’artiste Philippe Apeloig. Enfin, les mots de la fin sont pour Marie-Rose Guarniéri : « Même si je suis née à Paris, mon pays c’est les livres ! »
Pour en savoir plus sur le prix Wepler - Fondation La Poste, c'est ICI.