Elle fait partie des inclassables. Impossible de lui coller une étiquette. Impensable de la mettre dans une case. Mathilde de l’Ecotais cumule « les casquettes », comme elle dit. Photographe, réalisatrice de films, designer, directrice artistique et artiste tout court… tout ce qui part de l’image l’intéresse, la passionne, la guide. Si bien qu’avec la complicité du chef étoilé Thierry Marx, elle a également imaginé et fondé Media Social Factory. Cette école forme gratuitement à la photo des jeunes éloignés de l’emploi, ou en décrochage scolaire, et propose leurs services à des entreprises en quête de contenus visuels pour les réseaux sociaux. Un cercle vertueux qui a déjà accueilli quelque 190 étudiants, dont 89% ne sont pas retournés à France Travail.
Son moteur, c’est « le vivant »
« Venez passer une journée avec moi… » Elle est comme ça, Mathilde de l’Ecotais : directe, franche, sans arrière-pensée. Elle suggère. Elle n’impose rien. On prend ou pas. Et si l’on accepte de la suivre, « d’être en mouvement » avec elle, ça démarre sur une péniche amarrée sur la Seine, « avec le soleil qui se lève au-dessus du musée d’Orsay et se couche sur le pont Alexandre III ». C’est ici qu’elle habite. Un spot mi-aquatique, mi-bucolique, en plein Paris. Un bateau qu’elle a entièrement réaménagé pour lui donner des airs d’appartement posé sur l’eau, « avec la cuisine sur le pont ». Son moment préféré ? « Tôt le matin, à l’heure du premier café, dans cette cuisine... » Elle dort peu. La vie avant tout. En début ou en fin de journée, elle enfourche son vélo ou emprunte sa voiture électrique, en direction du Bois de Boulogne. Là, elle monte à cheval près de deux heures. La nature l’inspire. Un besoin quotidien, qui nourrit son travail, son œil, ses images. Voir du vert, c’est vital. Et pour cause : son moteur, c’est « le vivant ».
« L’école a toujours été un problème »
La photo, c’est venu très tôt. « Parce que les mots, c’était vite compliqué pour moi », confie Mathilde de l’Ecotais. Fille du journaliste et écrivain Yann de l’Ecotais – il a notamment dirigé la rédaction de L’Express de 1987 à 1994 -, elle est née en 1970 à Bruxelles – « car mon père y était alors le correspondant du Figaro » -, où elle a vécu jusqu'à la fin de la maternelle. Puis, ses parents s’installent à Paris, avec leurs trois filles, dont la jeune Mathilde est la cadette. « L’école a toujours été un problème », reconnaît celle qui a écumé plusieurs collèges et lycées, publics et privés. L’année du bac, elle ne le décroche pas, alors que ses sœurs sont déjà sur une lancée qui va les mener vers un doctorat en droit et un autre en histoire de l’art. Mathilde de l’Ecotais va devoir trouver sa place. Se poser. S’imposer. « Faire pour apprendre. » Elle quitte le cocon familial. À 17 ans, elle transforme alors son intérêt pour la photo en métier. D’abord avec des petits jobs à l’Agence France Presse (AFP) – « pendant un temps, j’ai rédigé les légendes photos au desk… » -, puis elle va proposer de pallier le manque de portraits au service « magazine ». Banco ! Elle n’a pas encore 20 ans qu’elle réalise jusqu’à deux portraits par jour en freelance, « pour 400 francs la photo couleur ». La suite : elle va produire des images pour l’agence Sygma, le Sénat, le théâtre national de Chaillot… le tout ponctué de ses premières expositions à Paris ou encore Avignon.
Des gangs de L.A. à Planète Marx…
Comme la chanteuse Véronique Sanson, Mathilde de l’Ecotais a eu ses « années américaines ». Au milieu des années 1990, elle pose ses bagages à Los Angeles. « J’ai appris l’anglais et l’espagnol sur le tas. » L’AFP lui demande de couvrir les matchs de basket. L’agence Sipa, Le Point et Newlook lui commandent des reportages. Du lourd. À l’instar de son immersion avec la police pour approcher au plus près les gangs de L.A. La limite de l’exercice ? « Un soir, mon gilet pare-balles prend une balle. La police riposte et tue le tireur, qui n’avait que 16 ans... » La goutte d’eau qui fait déborder le vase. En 2000, Mathilde de l’Ecotais rentre à Paris. « J’apprends alors que le chef Alain Ducasse recherche un photographe. J’ignore tout de la photo culinaire et de la gastronomie en général, ayant été élevée à la purée Mousline et aux saucisses Knacki ! » Qu’à cela ne tienne. Elle postule quand même. Le jour des essais de desserts à immortaliser, « j’ai tout épuré et, ainsi, transgressé des règles sans le savoir ». Ducasse adore. Elle a le job. C’est l’occasion d’éduquer son palais, mais aussi de se laisser surprendre par la grande cuisine et ses produits, qu’elle prend plaisir à shooter. Ses images font à nouveau l’objet d’expos, dont une à Arles, où le chef Thierry Marx repère son travail. Le duo se rencontre en 2005. Un an plus tard, ils publient le livre Planète Marx (éditions Minerva). Ce manifeste - en 51 recettes - pour une cuisine du XXIe siècle s’accompagne d’un voyage en images au plus près de la matière : un parti pris visuel devenu, depuis, une signature.
La confiance règne
« Tu veux regarder ? » « Non… » 3 juin 2025, 10 heures : Mathilde de l’Ecotais réalise un portrait de Thierry Marx, dans son studio photo du XXe arrondissement de Paris. Elle l’invite à voir les premières images. Pas la peine : la confiance règne. Et ce depuis une vingtaine d’années. Si bien que le chef étoilé lui a confié scéno, déco et architecture intérieure de son restaurant ONOR, à deux pas de la place des Ternes. Un terrain de jeu où Mathilde de l’Ecotais a été tour à tour designer, directrice artistique, photographe, en œuvrant de concert avec une équipe - de fidèles – où se côtoient architecte d’intérieur, décoratrice et antiquaire. « J’ai tout dessiné, du sol au plafond, en partant d’une photo de carapace de crabe bleu de Thaïlande, prise en 2006. Une image acquise, depuis, par le chef Yves Camdeborde », explique-t-elle. Le résultat : le motif est repris aussi bien sur les murs qu’en cuisine ou encore sur les tables grâce à une impression sur cuir. À cela s’ajoute une priorité au durable, au réparable, avec une partie du mobilier chiné ou encore le tissu des assises issu de résidus de plastique récupérés dans l’océan. Quant à la carte des vins, il s’agit d’une boîte en cuir patiné qui contient une sélection d’extraits de cartes Michelin, classés par ordre alphabétique, à déplier par région et à consulter à l’aide d’une loupe pour choisir sa bouteille... L’artiste déborde d’inventivité. La preuve avec cette autre prouesse : le fond de la piscine des Sources de Caudalie, à Martillac, paré d’une représentation de grains de raisin, conçue à partir d’un procédé de photo immergée, résistant à l’eau, au chlore, au sel, aux UV, qui lui a demandé plusieurs années de recherche et développement. Bluffant. Même créativité avec ses cyanotypes, où elle joue avec les temps de pose, les formats, les techniques, pour livrer et délivrer des couleurs inattendues, inédites, uniques. Autant de procédés qu’elle aimerait appliquer au secteur de l’hôtellerie. Avec une première expérience pour un hôtel niçois qui ouvrira ses portes en 2027, dont elle a signé la direction artistique « à partir d’une image de poissons ».

2023 : Mathilde de l’Ecotais réalise une série de cyanotypes pour la Fédération nationale des travaux publics.
Un esprit d’équipe, rue de la Liberté…
Ils s’appellent Mélanie, Shadou, Billy, Maïmouna, Antoine, Cécile, Alexandrou… Ils font partie de la nouvelle promo de Media Social Factory. « Une école où l’on apprend autrement », souligne Mathilde de l’Ecotais, venue les rencontrer le temps d’une interview d’elle que les élèves vont filmer, monter, habiller. À l’issue de 8 semaines de formation intensive – où l’on apprend les bases de l’image, mais aussi à gérer une activité d’autoentrepreneur, fidéliser une clientèle, prendre confiance en soi… - et d'une période de stage en entreprise, les jeunes, tous équipés d’un iPhone, sont capables de fournir du contenu de qualité pour les réseaux sociaux. L’école se situe rue de la Liberté – ça ne s’invente pas…-, à Pantin. Le profil des élèves ? Aucun ne se ressemble. Aucun n’a le même parcours. Mais tous partagent un intérêt pour l’image et une même envie d’apprendre, progresser, travailler, tout en cultivant un esprit d’équipe. C’est le cas d’Antoine, 32 ans. Ex-pâtissier dans un grand hôtel parisien, il ne s’y retrouvait plus. Passionné de photo et de vidéo, il a eu envie de combiner son intérêt pour l’image avec son savoir-faire en cuisine. France Travail l’a alors orienté vers Media Social Factory. Même scénario pour Maïmouna, 24 ans. Créatrice de contenu pour l’association Action internationale contre la faim (AICF), le temps d’un service civique, elle a souhaité approfondir ses acquis et « à France Travail, on m’a parlé de l’école »… Leurs histoires diffèrent, mais se recoupent. Cécile, la formatrice, les conseille, les accompagne, les encourage. Photographe et vidéaste freelance, elle est venue jusqu’à l’école « pour faire autre chose que de la pub » : « Ici, dit-elle, je travaille sur des projets qui ont du sens. » De son côté, Mathilde de l’Ecotais se mobilise pour multiplier les partenariats comme les offres de stages. Une casquette de plus sur la tête de cette femme de convictions, marraine de la promo 2024-2025 de l’École d’affaires publiques de Sciences Po.
Conversation avec Mathilde de l'Ecotais, filmée par une promo 2025 de l'école Media Social Factory, sous la houlette de Cécile de Almeida, à suivre sur : YouTube
Mathilde de l'Ecotais à retrouver aussi ICI.