Episode 11 de la « correspondance » entre 1 Epok formidable et Corridor Eléphant. C’est quoi déjà « l’Eléphant » ? Une maison d’édition et une revue (Niepcebook), qui font la part belle à « la photographie émergente ». Entre eux et nous, c’est une « correspondance » de vues et de points de vue. Avec des choix engagés et engageants.

Pour ce 11e épisode, 1 Epok donne la parole à Pierre Léotard, directeur de publication chez Corridor Eléphant. Il parle du confinement, mais surtout de cet « après » qui nous attend.

 

Comment avez-vous vécu ce confinement ? Comme une punition ou une occasion de rester créatif ?

P.L. : D’abord, comme une fatalité. Car le confinement s’est mis en place quelques jours avant la prise en charge par la poste des envois du n°13 de notre revue Niepcebook et du livre de Ludovic Le Guyader, Natures Urbaines, que nous venons de publier. Les exemplaires n’ont pu être envoyés que début mai. Parallèlement, il a fallu repousser les lancements de livres d’avril et de mai. Même chose pour le n°14 de Niepcebook. Pendant quelques jours, nous avons eu l’impression d’être... à l’arrêt, un peu comme si le monde s’était arrêté de tourner sans prévenir personne.

Puis, cette parenthèse est devenue l’occasion pour nous de prendre du recul, regarder ce que nous avions fait jusqu’à présent - en près de huit ans d’existence - et le partager différemment. Sur notre site, nous avons mis en place une rubrique intitulée Accès libre. Elle donne la possibilité à nos lecteurs de télécharger, tous les quinze jours, des ouvrages épuisés. Notre volonté était le partage. Nous ne voulions pas donner accès à une consultation en ligne, avec l’obligation d’être connecté pour lire ou découvrir, mais bien la possibilité de charger sur une tablette ou un ordinateur un livre qui pourrait être lu à tout moment. Nous sommes partis du principe que nous étions tous « coincés » et qu’il fallait au moins donner cette liberté. Résultat : les visites sur notre site ont été  multipliées par trois. Quant aux envois de livres repoussés, nous avons reçu plusieurs mails de soutien, confirmant que les lecteurs étaient également acteurs de la maison d’édition Corridor Eléphant.

Je ne sais pas si nous sommes devenus plus créatifs pendant ce confinement, mais il a engendré une prise de conscience au sein de la rédaction, qui aboutit déjà à des changements. Désormais, nous communiquerons davantage sur les prochaines sorties de monographies et certainement beaucoup plus en amont, car les lecteurs ont montré qu’ils étaient bien plus impliqués que nous ne l’imaginions.

La revue Niepcebook et les ouvrages édités par Corridor Eléphant sont des médias alternatifs, sans publicité ni subvention. Selon vous, ont-ils encore leur place dans cet « après-Covid » ?

P.L. : La revue Niepcebook et les livres sont imprimés grâce aux préachats. Dès le début, nous avons voulu rendre le lecteur acteur de la maison d’édition. Nous souhaitions publier une revue et des livres voulus et attendus. J’ai évolué pendant plusieurs années dans l’édition « classique » et la dernière chose que nous voulions, chez l’Eléphant, c’était de faire des livres-produits qui finissent au pilon ! Alors, d’emblée, nous avons fait des objets numérotés, signés par les artistes, fabriqués en France, de préférence par une petite imprimerie, sur un papier de qualité. Ce sont des livres dont les impressions sont fidèles aux œuvres originales. Des objets qui s’approchent de l’impression à la demande, quelque chose qui s’apparente à tout, sauf à un produit destiné aux têtes de gondoles pour des librairies « usines ». Je ne sais pas quelle place auront ces livres dans le futur, pas plus que je ne connais le comportement des lecteurs. Mais il me semblerait légitime que, plus qu’avant, le lecteur se veuille « découvreur » et acteur de par ses choix. Si c’est le cas, Corridor Eléphant devrait y retrouver toute sa place.

Dans cet « après », les photographes vont-ils devoir privilégier le « web » par rapport au « print » ?

P.L. : Le web est une merveilleuse vitrine qui donne à voir pour qui sait regarder et chercher. Mais le web est également à l’image de nos sociétés de consommation : on y trouve facilement tout et n’importe quoi. Quelles que soient les qualités (ou défauts) du web, je crois que l’être humain aura toujours besoin de « toucher » ce qu’il voit, de pouvoir ouvrir un livre ou une revue, les conserver, les collectionner, avoir un rapport affectif avec le papier et ce qu’il contient.

Quant aux galeries, qui exposent des photographes, ont-elles encore un avenir ? Dans cet « après-Covid », comment lancer une expo sans vernissage, sans rencontre avec l’artiste ?

P.L. : La question est surtout : est-ce que les galeries remplissent encore leur rôle de défricheur, découvreur et soutien de talents émergents ou en devenir ? Si c’est le cas, je crois qu’elles auront un rôle à jouer. Rôle qu’il faudra certainement réinventer, tout du moins les premiers mois où les déplacements « en masse » seront impossibles ou risquent de faire peur.  Mais si les galeries sont devenues des circuits destinés à faire monter la cote d’artistes, dont les œuvres remplissent déjà les fonds d’institutions ou de collectionneurs qui cherchent un placement plus qu’un coup de cœur, alors leur avenir risque d’être orageux.

Serez-vous toujours éditeur en 2021 ?

P.L. : Je l’espère. En tout cas, nous préparons des livres, encourageons de jeunes photographes à travailler à des monographies, restons à l’écoute et ouverts à de futurs projets. La photographie plus qu’à aucune autre époque est un langage qui raconte, donne à voir, à rêver. J’espère que « l’après-Covid » incitera, peut-être plus qu’avant, à investir le présent, découvrir ses artistes, prendre conscience que la majeure partie des photographes, jusque-là boudés par les circuits « officiels », sont souvent (voire toujours) ceux qui témoignent de notre quotidien et donc de notre histoire. Leur travail est la trace d’une mémoire collective. Comment pourrait-on ne pas avoir envie de la partager ?

Serez-vous toujours franc-tireur une fois déconfiné ?

P.L : Quelles que soient les difficultés rencontrées par Corridor Eléphant durant ces deux mois de confinement, nous n’avons demandé aucune aide. Non par fierté, mais par volonté de garder la même énergie et la même indépendance. Corridor Eléphant va continuer à accompagner et faire des livres avec les photographes, à exposer vingt artistes par mois sur son magazine en ligne, à les faire découvrir au plus grand nombre.