Rues vides. Quartiers désertés. Quais de métro abandonnés. Boutiques fermées. Villes dépeuplées. Pendant deux mois, on a fait silence dans un monde à l’arrêt. Tous isolés derrière un écran. Celui de l’ordinateur ou du téléphone. Tous un peu paumés sans copains, sans rendez-vous, sans QG où se retrouver. Silence, ça tourne… dans la tête.

Quand la ville dort

D’aucuns ont renoncé, fermé les yeux, prolongé les nuits, les siestes. D’autres ont gardé l’œil ouvert et sont restés à l’écoute de cette absence de bruit. Curieux climat. Surtout quand on a l’habitude de sortir, traîner, flâner, observer, approcher, toucher, prendre, apprendre. Là, il a fallu rester confiné, planqué, enfermé, privé de liberté. Cadre inédit. Punition pour les uns. Source d’inspiration pour d’autres. Les plus créatifs se sont d’ailleurs révélés. Leur vitrine : les réseaux sociaux. Plus efficaces qu’un grand magasin, quand la ville dort. Circuit court, cercle fermé et public captif : idéal pour se faire repérer.

« Spritz en survêt’ sur un rooftop »

Lorsqu’un monde s’écroule, il faut rebâtir. « Et pas à coup de fiestas, petits fours, apéros, vernissages, cocktails, coups de rouge, blanc sec ou Spritz en survêt’ sur un rooftop », lit-on dans une chronique du site Corridor Eléphant. La copie est à revoir. Du début à la fin. Pour avoir la moyenne, va falloir panser, repenser, trouver, inventer, hiérarchiser. Aller chercher quelques audacieux. Avancer avec eux pour une autre idée de la (sur)vie de bureau. Réfléchir avec eux aussi sur ce que l’on met désormais derrière les mots « politique », « économie », « santé publique », « culture », « art » et « art de vivre ». Parce que ça fout la trouille de voir qu’il a fallu la déferlante « Corona » pour que certains s’aperçoivent qu’on a des blouses blanches en France, qui bossent comme des dingues pour un salaire de misère. Ignorés hier, applaudis aujourd’hui. Et demain ? Les soignants vont-ils se faire doubler, dans les médias, par les vendeurs et réparateurs de vélos, nos nouveaux « sauveurs » ?

Le plus bel âge

Bohême Pichard Despres fait partie des « jeunes réveillés » sur les réseaux sociaux. Ces derniers jours, sur son compte Facebook, elle a cité cette phrase de  Baudelaire à Manet : « Je me fous du genre humain. » Elle a pleuré la mort de  Florian Schneider, cofondateur du groupe Kraftwerk. Et puis, elle a écrit : « Lundi, fin du confinement. Mardi, j’ai vingt ans… » Le plus bel âge de sa vie ? Envie de lui dire que oui, parce que c’est vrai. Envie de lui dire que non, vu le contexte. Envie de lui dire aussi que j’ai eu vingt ans en 1989 : le Sida venait de flinguer les années Palace, les yuppies ne juraient que par le fric et, au ciné, on nous rappelait qu’on vivait dans Un monde sans pitié.