Sa première fois ? « C’était avec le Leica de mon père. J’ai consacré toute une pellicule noir et blanc au marché d’Aix-en-Provence. J’avais 13 ans. » Vingt-trois ans plus tard, Celeste Leeuwenburg a toujours l’appareil – « même s’il ne fonctionne plus » -, mais depuis la balade à Aix, la photographie est devenue son métier. Du 4 juillet au 28 août 2022, une partie de son travail personnel sera d’ailleurs exposé aux Rencontres de la photographie, à Arles… Il faut dire que, d’emblée, le terrain était favorable. « J’ai grandi dans un univers artistique, avec une mère plasticienne », confie-t-elle en buvant un café dans son atelier parisien du boulevard Voltaire. Née dans le XIe arrondissement, où elle vit encore aujourd’hui, celle qui tutoie « tout de suite » a quitté Paris pour Buenos Aires à l’âge de 12 ans. Racines familiales argentines obligent. C’est dans cette Amérique du Sud de la fin des années 1990 qu’elle s’éprend de la photo et surprend par sa maturité. « J’ai été très tôt attirée par la lumière et les reflets. » Si bien qu’elle a fait sa première expo à 15 ans,  dans une galerie de Buenos Aires. « C’était une série d’images en argentique, pour laquelle j’avais utilisé différents verres de cuisine, que je mettais devant mes optiques, pour immortaliser une femme nue sur une carte postale. Chaque verre la déformait. Cliché après cliché, elle changeait de corps, comme autant de regards différents posés sur une même personne. Cela faisait écho à mon corps d’adolescente, qui lui aussi se transformait. »

Dans l'atelier parisien de Celeste Leeuwenburg.

Très tôt sur le terrain

Montrer son travail aux autres, le soumettre à la critique, n’a jamais été une difficulté pour Celeste Leeuwenburg. Gamine, elle accrochait déjà ses dessins dans les couloirs de l’appartement familial : « J’espérais les vendre aux amis de ma mère ! » Alors, en marge de ses années de lycée en Argentine, elle a exposé des travaux perso, à raison d’une fois par an. Si elle a étudié l’histoire de l’art, elle se dit autodidacte quant à la pratique de la photo. Elle a tout appris très tôt, sur le tas, sur le terrain. Elle n’a que 18 ans lorsqu’elle signe ses premières images de mode pour le ELLE. Puis elle va flirter avec le cinéma : « À 20 ans, j’étais assistante de production et assistante-cameraman pour des spots publicitaires français, tournés en Argentine. » De quoi la rendre autonome pour financer ses recherches, ses images, ses expos. Mais la France l’attire. En 2010, elle profite d’une résidence à la Cité internationale des arts pour poser bagages et appareils photo dans la capitale. « Je pensais ne rester que quelques mois, je ne suis jamais repartie. »

Une gaze d’hôpital, comme un fantôme dans Paris…

© Celeste Leeuwenburg -
Rosa Soft Sculpture, 2016

Durant sa résidence, Celeste Leeuwenburg s’est, une fois encore, intéressée aux corps. En deux temps. Tout d’abord, entre 2011 et 2014, la photographe travaille à partir d’une gaze d’hôpital de six mètres de long, teinte en rose, qu’elle balade dans Paris, comme un fantôme, « une présence silencieuse qui trace un chemin ». Seine, pyramide du Louvre, passage des Panoramas, place de la Bastille… la « Rosa soft sculpture » passe partout. Clin d’œil à la ville natale de la photographe. Une ville qu’elle a aimée, quittée, retrouvée, avec ses hauts, ses bas... Puis, au lendemain des attentats de novembre 2015, Celeste Leeuwenburg poursuit cette série en sollicitant des amis parisiens, auxquels elle demande de se parer, s’emparer, de cette même gaze rosée. Une matière, douce, légère, « faite pour soigner, pour protéger ». « Je n’ai pas souhaité exposer ces images en France. J’ai choisi la galerie Artemisia à New York et l’Alliance Française à Buenos Aires », explique l’artiste. Un parti pris motivé par l’envie de témoigner et raconter le drame ailleurs, autrement. Une façon de cultiver le singulier, l’inédit, le pas de côté.

© Celeste Leeuwenburg - Rosa Soft Sculpture, 2016

Sur les traces de Marcia Moretto

Dans l'atelier parisien de Celeste Leeuwenburg.

De l’inédit encore avec le travail que Celeste Leeuwenburg mène, depuis 2011, à propos de la danseuse argentine Marcia Moretto, disparue en 1983 à Paris. Des origines communes, un parcours singulier et surtout une carence d’archives – y compris à l’INA - concernant « la » Moretto, tout a donné envie à la photographe de fouiner, chercher, enquêter. Elle aime le long cours, l’endurance en solitaire. C’est ce qui permet à un projet de s’étoffer, s’enrichir, grandir. « Les traces laissées par Marcia restent vivantes dans les récits et les mémoires, mais rares sont les enregistrements de son image et encore moins de sa danse », a pu constater Celeste Leeuwenburg. Alors elle s’est embarquée dans cette aventure, comme on prend un aller sans retour. On sait quand on part, quand on démarre. Mais on ne sait pas, d’emblée, où cela va mener.

Sélectionnée au Prix Louis Roederer 2022

Photogramme extrait de la vidéo From What She Told Me, And How I Feel,
Buenos Aires, Argentine, 2019.

Aujourd’hui, en parallèle à sa quête artistique, Celeste Leeuwenburg collabore avec la presse, française et internationale, pour des reportages, portraits, photos de mode… Cet été, c’est à Arles qu’elle va s’installer. Et pour cause : à 36 ans, elle a été sélectionnée au Prix Louis Roederer 2022, dans le cadre des Rencontres de la photographie. Ce qu’elle va présenter ? Une série intitulée « À partir de ce qu’elle m’a dit, et ce que je ressens ». « Elle », c’est sa mère, Delia Cancela. Et ce qu’elle lui a dit, c’est le récit de ses années 1970 dans un Paris où beaucoup était permis, entre punk attitude, soirées au Palace et manifs féministes. Une liberté réinterprétée par Celeste Leeuwenburg, qui a donné carte blanche à une dizaine de danseurs amateurs - dont elle et sa mère - qu’elle a photographiés et filmés. Des corps, encore... La fille-artiste questionne ainsi l’artiste-mère, tout en complicité, subtilité, fragilité, sensibilité. Des mots qui vont bien ensemble pour cet « hommage à maman, de son vivant ».

Pour les Rencontres de la photographie, on peut s’inscrire ICI.

Et Celeste Leeuwenburg est aussi .

© Celeste Leeuwenburg -
Campagne pour Moismont 2022.