Rencontre avec le photographe Thierry des Ouches. Peintre officiel de la Marine, auteur d’une quinzaine de livres et à l’origine d’une centaine d’expos, notamment place Vendôme et sur l’esplanade des Invalides, il vient de concocter un portfolio pour 1 Epok. L’occasion d’aller voir l’artiste chez lui. Il a ouvert ses tiroirs, certaines archives, évoqué son dernier ouvrage Silences, ses projets en cours et son parcours. Un chemin jalonné d’étapes au bout du monde et d’escales dans des campagnes françaises reculées, pour celui dont une partie de l’œuvre a rejoint les collections permanentes de la BNF.

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Pour aller le voir, il faut prendre un TGV. Direction Poitiers. Après, c’est le début de l’aventure. Sur le parvis de la gare, le break Volvo bleu marine, dont les « warnings » clignotent, c’est le sien. Puis, comme le stationnement est interdit, la porte s’ouvre et faut grimper fissa dans l’auto. C’est parti pour 30 minutes de route et la pleine campagne. Thierry des Ouches a posé ses bagages près d’un cours d’eau, à 4 kilomètres du premier village, voilà déjà une douzaine d’années. Pas banal pour un photographe qui bosse un peu partout dans le monde. Mais il est organisé : avec un pied-à-terre dans l’ouest parisien et un scooter à dispo, il est paré. Ce qui l’a poussé à partir dans le Poitou ? « Le besoin d’espace », répond celui qui a grandi « dans un 55 m2 à Boulogne-Billancourt, près des usines Renault ». Né dans le 15e arrondissement de Paris, il n’a jamais aimé l’école. Il préférait « la bricole » : « A 15 ans, dans ma chambre de 10 m2, j’ai fabriqué un bar, un mini labo photo et une soupente pour dormir au-dessus de mon petit bureau, qui servait de décor. »  Il a eu son bac, ric rac. Quant aux études de commerce recommandées par son père, il les a abandonnées au bout de trois mois pour leur préférer les petits boulots. « J’ai même été pompiste », se souvient -il. « Je n’avais peur de rien. Ma passion pour les images me poussait parfois à avoir un certain culot. » Si bien qu’à 21 ans, il vit déjà de la photo, loue un appartement de 150 m2 transformé en partie en studio, où il réalise des natures mortes à la chambre. « Tout ce que je gagnais servait à payer le loyer et acheter du matériel. » Quant à la technique, son seul prof a été « la revue Photo ». Le reste, c’est sur le tas qu’il l’a appris, en abandonnant, peu à peu, le studio pour retourner shooter en extérieur. Les agences de pub s’intéressent alors à lui. C’était les années 1980. Le début d’une époque où il a enchaîné « les grosses campagnes ». Celles où l’on part au bout du monde, avec des équipes pléthoriques, pour ne rapporter qu’une seule image. Celles qui habillent les panneaux d’affichage XXL du métro et autres abords de périph’.

Guidé par « l’exotisme de proximité »

Thierry des Ouches se moque de la gloriole. L’important, c’est le « faire ». Les contrats qu’il a décrochés avec de grandes marques internationales lui ont permis de financer des travaux plus personnels. Le mode opératoire classique des indépendants qui ont un peu de suite dans leurs idées. Le réflexe aussi de ceux qui savent créer des passerelles entre commandes et investigations, recherches, fouine, « errances » dit aussi le photographe, capable de longues traversées en solitaire. Ses lieux de prédilection ? Thierry des Ouches n’en a pas. Il se laisse guider par « l’exotisme de proximité ». Autrement dit : « La France, son silence, ses villages, ses auberges, ses hôtels 2 étoiles perdus en rase campagne. » Il parle d’une vie « où tout est lié ».  Aujourd’hui encore, il est ancré dans ce même fonctionnement : « Vie perso et pro ne font qu’un. Tout se mélange. » Sur certaines de ses récentes photos de mode, on aperçoit sa chienne Youpi, son Land Rover hors d’âge, des objets qu’il affectionne et s’amuse à scénographier. A l’inverse, il met à profit les moments de pause, sur quelques shootings « pro », pour glaner une image, une idée, destinées à un projet de livre ou d’expo. Le va et vient est incessant dans un seul et même univers, reconnaissable à sa palette de couleurs inspirée par la brume, le brouillard, l’automne, l’hiver, mais « jamais en plein soleil ».

« A l’aise dans l’inconnu »

Chez lui, ses repères sont ses deux bureaux et le bar voisin de la salle à manger. Sur le comptoir, on trouve d’excellents whyskies, des cigarillos et un tas d’objets chinés par ce tintinophile qui est allé jusqu’à recréer, en miniatures, le Sirius, l’épave de la Licorne et le sous-marin requin : les fans du Trésor de Rackham le Rouge apprécieront… Deux bureaux, parce qu’il y a celui, planqué dans le parc, où il ébauche les plans de nouveaux projets, et celui, dans la maison, où il a ordinateur, archives, piles de bouquins… Les livres des autres et les siens. Il en a une quinzaine à son compteur, dont Requiem, préfacé par Jeanloup Sieff, France, qui s’ouvre sur un texte de Philippe Delerm ou encore son célèbre Vaches, où les mots d’Elliott Erwitt introduisent le propos. Son dernier, Silences a fait l’objet d’une expo à Paris, entre deux confinements. A la fin des années 2010, Thierry des Ouches s’est même amusé à écrire trois romans. Rien de surprenant pour ce photographe qui aime « raconter des histoires » et se dit « à l’aise dans l’inconnu ».

Actuellement, il peaufine un ouvrage où ses images répondront à des poèmes sur la mer, il prépare une suite à Silences et un hommage à Yvonne. C’est qui ça ? Son arrière-grand-mère, dont le portrait figure sur un tableau peint par la grand-mère du photographe, diplômée des Beaux-Arts. Thierry des Ouches a baladé et immortalisé le tableau un peu partout sur les routes de France : une série où le passé s’invite dans le présent, où Yvonne semble porter un regard étonné, distancié, décalé, sur ce qui l’entoure. Enfin, quand on lui demande deux ou trois mots sur ses appareils photo, Thierry des Ouches se marre : « Je n’y connais rien ! Du moment que ça marche, c’est le principal ! »

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