« Femmes de com’ ». C’est le titre d’une série de portraits de femmes qui ont choisi la communication comme terrain de jeu. Certaines sont en agences, d’autres ont créé la leur. À travers leur parcours, elles abordent l’évolution de leur métier. Aujourd’hui, pour susciter la curiosité d’un journaliste ou celle d’un influenceur, elles doivent mettre les bouchées doubles. Certaines dorment peu, d’autres ont renoncé aux vraies vacances, par passion pour une profession en pleine transformation.

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Elle a toujours fonctionné à l’instinct. Elle sent, elle ressent, ou pas. Odile Idkowiak a compris, dès son premier stage, qu’il fallait se fier à son flair, sa première intuition, l’humeur du jour et l’air du temps. En accompagnant l’une de ses amies à un entretien pour obtenir un stage dans un bureau de presse, c’est elle finalement qui va décrocher le job. Parce que l’amie vivait en banlieue, loin, trop loin. Elle allait devoir se lever tôt et rentrerait sûrement très tard… « Le stage avait lieu rue Martel, à Paris, et à l’époque j’habitais tout près de la gare de l’Est. Alors quand cette amie a décliné l’offre, j’ai tout de suite fait savoir que celle-ci m’intéressait, car je vivais à deux pas », raconte Odile Idkowiak. Il s’agissait d’un stage au sein de l’agence Totem, ciblée sur le prêt-à-porter masculin, aux côtés du dénicheur de talents Kuki de Salvertes. Ancien attaché de presse chez Moschino, puis de Vivienne Westwood, on lui doit notamment la découverte des créateurs de mode Raf Simons et Iris Van Herpen. « Kuki m’a tout appris des bases du métier des relations presse », confie Odile Idkowiak. C’était à l’orée des années 1990, elle venait de refuser un boulot au Crédit Agricole pour lui préférer un cursus à Esmod, l’école de mode la plus ancienne du monde. Une institution fondée en 1841 par le tailleur Alexis Lavigne, inventeur du buste mannequin et du mètre ruban.

Des costumes à base de torchons, sacs de café ou autre thibaude…

« J’ai grandi dans une petite commune du Nord de la France. Je n’avais qu’une envie : venir à Paris… » Mais Odile Idkowiak doit passer son bac d’abord. Un bac scientifique, obtenu – « grâce aux langues ! » - par une ado qui rêvait de devenir styliste. « Mais je n’étais pas bonne en dessin et je ne savais pas coudre. J’avais toutefois une certaine sensibilité pour l’esthétisme, les couleurs et je savais raconter des histoires. » Un bon début. Une fois à Paris, elle se forme au marketing dans le cadre d’un apprentissage, où elle alterne les cours avec des périodes en entreprise – et plus précisément au Crédit Agricole. « J’étais dans l’effervescence de la capitale, là où tout se passait. Je m’immergeais dans la ville, je faisais tout à pied, j’allais dans tous les musées… » Alors quand la banque lui propose de l’embaucher, elle décline. Direction Esmod et une formation consacrée au « cycle de vie des produits de mode ». Puis Odile Idkowiak enrichit son CV avec une formation au marketing dans une école de commerce – l’Inseec -, toujours en alternance. Elle travaille alors chez le jeune créateur Jean Fixo : « Il confectionnait des costumes avec des torchons, des sacs de café ou encore de la thibaude. Ses tee-shirts étaient fabriqués à partir de bandes velcro… Son univers était très décalé et on avait plein de presse ! » La suite : un poste chez Bananas Mambo, l’agence de mannequins hommes de Patricia Cadiou Diehl. « Là, je me suis forgé un œil, j’ai appris à réaliser des books et j’ai perfectionné mon anglais, car 90% des mannequins étaient anglo-saxons », détaille Odile Idkowiak. Elle parle d’une « ambiance familiale » et d’un job qui se résumait à « avoir de l’idée ». « Toutefois, nuance-t-elle, mon métier consistait avant tout à vendre des hommes. Or, je n’ai pas l’âme d’une commerciale. » Elle va donc jeter l’éponge. Qu’à cela ne tienne. Son réseau de « copines » la propulse, « en extra », dans le bureau de presse parisien du styliste Paul Smith, sous la houlette de Sophie Boilley. « On cherchait une assistante. J’étais là. Je suis restée et j’ai été le bras droit de Sophie durant 18 ans. »

« J'avais la confiance de Paul pour faire différemment »

1997 : c’est l’année de sa première rencontre avec Paul Smith. Le courant passe. Ils sont sur la même longueur d’onde : « Classic with a twist », résume-t-elle. Ou de l’art de cultiver le pas de côté. « Très vite, j’étais en direct avec lui dès que j’avais une question ou besoin d’une info », explique Odile Idkowiak. Au départ de Sophie Boilley, c’est elle qui prend la relève. Les liens se resserrent un peu plus encore avec le styliste britannique : « Je lui organisais des parcours insolites dans Paris, des visites de musées – Orsay ou encore Beaubourg - aux aurores… » Mieux encore : Odile Idkowiak, la curieuse, l’ingénieuse, l’audacieuse, habillaient certaines VIP pour en faire des ambassadeurs de la marque de vêtements et accessoires. Des acteurs tels François Cluzet ou Hippolyte Girardot, jusqu’à l’auteur-compositeur-interprète Peter von Poehl, en passant par l’animateur-acteur-réalisateur Antoine de Caunes, ils ont tous porté du Paul Smith en public, au cinéma, sur scène ou autres plateaux de télévision. À cela s’ajoute une multitude d’événements, dont l’inoubliable hommage de Paul Smith « himself » à David Bowie, dans la boutique parisienne de la rue Pastourelle, avec des invités maquillés façon Aladdin Sane, de la bière au bar et une DJ vêtue de rose bonbon… « J'avais la confiance de Paul pour faire différemment », commente Odile Idkowiak. Puis tout s’est arrêté. La fête s’est terminée. Après 23 ans de service, la dir’com’ et son équipe de 5 personnes ont été remerciées par un simple mail. Changement d’organisation et d’organigramme oblige. C’était en 2019. Avec trois semaines pour vider le bureau. Puis rideau.

« On ne prend plus le temps de parler, écouter, être curieux… »

« Avec ce licenciement, soudain et brutal, suivi du Covid et du confinement, j’ai cru que j’étais au bout de ma vie. » Coup dur et coup de blues pour Odile Idkowiak. Sa planche de salut : « Mon réseau. » Un réseau de journalistes, musiciens, acteurs, écrivains, costumières, photographes, DJ, designers… - « tous liés aux campagnes médias et événements que j’avais menés pour Paul Smith » - qu’elle va activer durant la pandémie. Un réseau de fidèles et d’amis « qui ont répondu présent ». Résultat : en septembre 2020, elle se retrouve aux relations presse de la Confédération européenne du lin et du chanvre – aujourd’hui Alliance for European Flax-linen & Hemp -. Puis, elle a créé sa propre agence de communication – Odile Communications, « avec un S, car c’est une com’ à 360° » – le 8 mars 2023, « Journée internationale des droits des femmes ». « Monter sa boîte, dit-elle, c’est comme repartir à zéro. Et travailler seule, ça change tout. » Alors il faut s’adapter, apprendre à tout mener de front : les appels et les rendez-vous professionnels, les factures, une panne informatique, la création d’un site Web, un dégât des eaux dans le micro bureau qu’elle a investi dans le Marais… Aujourd’hui, Odile Idkowiak compte une dizaine de clients - « que je n’ai pas démarchés » -, dont le prestigieux Comité Colbert, qui représente 93 maisons de luxe françaises, 18 institutions culturelles et 6 membres européens. Elle aime citer le Comité, car un chasseur de têtes lui a récemment reproché de ne pas avoir les codes du luxe. Réponse de l’intéressée : « Ça tombe bien : je ne veux pas forcément les avoir, mais plutôt garder ma personnalité et un brin de fantaisie. » Elle poursuit : « Ce qui a le plus changé dans mon métier ? On ne prend plus le temps de parler, écouter, être curieux… » Quant à son message à une jeune débutante dont la came serait la com’ : « Je lui dirais de s’accrocher, y croire, ne pas se mettre d’œillères, être curieuse, aller de l’avant et respecter le travail des autres. »

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« Femmes de com’ » : cette série de portraits fait écho à la formation « Relations Presse » du CELSA-Sorbonne Université (responsable pédagogique : Anne Eveillard). Prochaine session prévue du 19 au 20 septembre 2024 -> inscription : ICI

Autres portraits de « Femmes de com’ » à découvrir : Léa Paoli, Emmanuelle Gillardo, Kattia Mendiguetti, Isabelle Crémoux-Mirgalet...