© Camus Valat

Il est en avance au rendez-vous. Il s’installe tranquillement dans la salle dédiée à la lecture de l’hôtel French Theory, à deux pas du Panthéon. C’est ici que Camus Valat va répondre à sa première interview. Il a 19 ans. Signe particulier : il a passé ces six derniers mois loin de chez lui, loin de Paris. Par choix, par envie. Il est parti apprendre le calcul et l’anglais à des enfants en Tanzanie. Une aventure humaine qu’il a menée sans avoir son bac. Un diplôme qu’il n'a pas passé comme prévu en 2020. Aux cours en distanciel en France, il a préféré le présentiel à 10 000 kilomètres, avec des gosses qui manquent de tout.

Le bon moment pour aller voir ailleurs…

Tout a commencé en septembre 2019. Camus Valat fait sa rentrée en terminale ES dans un lycée « près de République », dont il a oublié le nom. Il va y rester moins d’un mois. « Je n’aime pas trop l’école » , confie celui qui, à 10 ans, manipulait déjà une petite caméra, dessinait, peignait et multipliait les collages. Lorsqu’il abandonne le lycée, ce n’est pas pour buller. Pas son genre de squatter un canapé toute la journée. Le week-end, il est barman, rue Berger. La semaine, il sert des pizzas chez Iovine’s. Il a décroché ces deux jobs « en faisant croire que j’avais déjà de l’expérience ». Il y va au bluff, mais une fois à la manœuvre, il tient la route. Les confinements, en particulier le deuxième, viennent toutefois casser cette dynamique :  bistrots et restos ferment. Camus Valat gamberge. C’est le bon moment pour aller voir ailleurs. Durant le premier confinement, il avait déjà noué des contacts via Workaway. C’est quoi ça ? Un réseau sur le Web, qui met en relation des voyageurs prêts à aider des hôtes dans un projet, en échange du gîte et du couvert. Il a un correspondant en Tanzanie, en quête de prof pour une école,  avec lequel il dialogue sur WhatsApp. Pour financer son billet d’avion, Camus Valat accepte quelques heures de ménage dans des tours de La Défense. Et mi-octobre 2020, il décolle d’Orly. Direction Arusha.

Il a rempilé trois mois de plus

© Camus Valat

« Je suis arrivé de nuit. Sur la route, on ne voyait rien. Je ne me rendais compte de rien. » Au réveil, le jeune Parisien est un peu sonné. L’hôte qui l’héberge vit avec sa femme et ses quatre enfants dans une petite baraque en pierre, faite de bric et de broc. Les toilettes à la turque servent aussi de douche. Quant à la porte d’entrée, elle n’a jamais eu de clef. « Je me suis dit que je n’allais pas tenir longtemps », reconnaît Camus Valat. Mais lorsqu’il a vu le sourire des enfants qui l’attendaient pour apprendre à lire et à compter, « j’ai su que j’allais rester ». Il devait rentrer pour Noël en France, il a rempilé trois mois de plus. Avec une deuxième mission : celle de construire une nouvelle école. Comment ? Avec quel financement ? Camus Valat gamberge encore. Il met en place une cagnotte en ligne. Puis, il crée une marque de vêtements, CSV Apparel, vendus au profit de la future école, sur un site Web qu'il a conçu en se formant sur YouTube. Pourquoi « CSV » ? Pour « Camus s’en va ». Un nom qu’il a aussi donné à son compte Instagram durant ce périple africain, ponctué d’une étape à Dar es Salaam et d’une autre à Zanzibar. Zanzibar que le jeune aventurier compare au « paradis ». Ce qui l’a le plus marqué durant ces six mois ? « Les 18 heures de train pour parcourir 500 kilomètres, la création d’une école avec moins de 10 000 euros, la vie sans frigo, sans four et sans masque – car la Tanzanie est un pays où l’on dit que le Covid n’existe pas… - et la mort du président John Magufuli, remplacé par une femme, Samia Suluhu. »

© Camus Valat

« Ce sont les plus pauvres qui donnent le plus »

De retour à Paris depuis le début du mois d’avril 2021, Camus Valat revient lentement à sa vie d’avant. Celle avec une vraie salle de bains, de la musique et des copains. Chaque jour, il prend des nouvelles de l’école en travaux à Arusha. Quant à la cagnotte, même si elle a dépassé l’objectif fixé, elle est toujours ouverte et Camus Valat ira lui-même apporter l’argent en Tanzanie, lorsque le financement participatif sera arrivé à son terme. « J’aimerais pouvoir y retourner au moins une fois par an », dit-il. En attendant, il réalise des clips pour un ami musicien. Il trie aussi les centaines de photos et monte les dizaines de vidéos qu’il a réalisées durant son voyage, avec son Sony a6400. Une matière première pour ses réseaux sociaux, voire aussi pour une expo. Car il a envie de montrer, raconter : « Notes, c’est l’appli que j’utilise le plus », confie celui qui écrit et décrit tout ce qu’il voit, sent, ressent, en tapotant sur l’écran de son smartphone. Histoire de ne rien oublier. A l’instar du souvenir de ce bébé qu’il a pris dans ses bras sur le toit d’un bus tanzanien, pour aider une jeune mère. Ou de ce vieil homme, rencontré dans un train, qui a spontanément partagé sa mangue avec lui. La principale leçon de vie que Camus Valat retient de cette école buissonnière au long cours : « Ce sont les plus pauvres qui donnent le plus. »