Il faut pousser une porte cochère, à l’orée du Marais parisien. Puis, emprunter un long couloir, jalonné d’entrées d’immeubles. « C’est tout au bout », dit une voix lointaine. Tout au bout à gauche. Là, on sonne pour pouvoir franchir une double porte en bois qui, d’habitude, donne accès à un grand bureau partagé. Jusqu’au 20 décembre 2020, c’est Sinople qui a investi l’espace immaculé. C’est quoi Sinople ? Un studio spécialisé en « stratégie, communication et direction de projets artistiques », installé à Belleville. Mais c’est aussi une galerie itinérante, sans domicile fixe. Le parti pris : un thème, une expo, dans un lieu à chaque fois différent. Pour ne jamais faire la même chose. Pour éviter de dupliquer. Pour détourner des adresses de leur vocation première. « Et pour se compliquer un peu plus la tâche », ajoutent en souriant Julien Strypsteen et Éric-Sébastien Faure-Lagorce. Ce sont eux qui se cachent derrière Sinople. Sinople : c’est le vert en héraldique. Une couleur symbolisée par des hachures, reprises au cœur du blason qui sert de logo au duo.

Au plus près des artisans d’art et de leurs créations

Leurs routes devaient se croiser. Car ils ont tous les deux un passé lié à l’art, l’artisanat, le design. Julien Strypsteen, le Lillois, voulait devenir conservateur de musée lorsqu’il étudiait l’histoire de l’art, sur les bancs de la fac. Mais le côté « gestionnaire » de l’affaire ne l’emballait pas tant que ça. Alors, il va s’inscrire à l’Ecole du Louvre, enchaîner avec un MBA à Sup de Luxe, faire de la com’ au Conseil d’Etat, mener des missions pour la maison Courrèges, avant de passer sept ans au mécénat culturel de la Fondation Bettencourt Schueller. Là, il a chapeauté le Prix Liliane Bettencourt pour l’intelligence de la main : un libellé qui en dit long. Un libellé qui propulse Julien Strypsteen au plus près des artisans d’art et de leurs créations. Éric-Sébastien Faure-Lagorce, lui, a fait du droit à Limoges avant de coordonner des opérations de com’ pour des collectivités locales du Limousin. C’est comme ça qu’il se fait repérer par France 3 Nouvelle-Aquitaine pour présenter des chroniques « lifestyle ». La suite se passe à Paris, avec du conseil, la conception de programmes télé, des projets éditoriaux et deux expos - « Mutations » et « L’empreinte du geste » - , dont il est commissaire, au musée des Arts décoratifs. Julien Strypsteen et Éric-Sébastien Faure-Lagorce se rencontrent en 2013, mais Sinople ne voit le jour qu’en 2018. Parce qu’une aventure à deux, ça se prépare. Parce qu’un positionnement singulier, ça ne s’improvise pas. Parce qu’il faut du temps pour trouver les bonnes idées - celles qui sont difficiles à piller, dépouiller - et les talents pour les accompagner.

Courant, Marion Chopineau - © Anthony Girardi

Acte fondateur et recherche au long cours

Glane, Paulus Marquet - © Anthony Girardi

C’est leur deuxième expo dans un lieu inattendu. La première, c’était en septembre 2019 à l’Espace Coutures Saint-Gervais, à deux pas du musée Picasso. Le thème ? « Collectible Nature ». Une sorte d’acte fondateur d’une recherche au long cours. Car l'opus 2020 est conçu tel un « deuxième volet », une suite logique : Julien Strypsteen et Éric-Sébastien Faure-Lagorce ont demandé aux 19 artistes, artisans et designers, qu’il représentent, d’orienter leur réflexion vers le « Paysage intérieur ». Le tout mis en scène par Hugo Haas Studio, qui a métamorphosé l’espace de coworking originel en écrin blanc, sobre, élégant, où chaque pièce conte une histoire et raconte son auteur. A l’instar des sculptures en métal de Paulus Marquet, inspirées des branchages observés par l’artiste lors de ses balades en forêt. Tout aussi narratifs : les berlingot, coque et coquille des vanniers Karen Gossart et Corentin Laval, également producteurs d’osier. Quant aux peaux d’équidés sculptées de Marion Chopineau, elles parlent de liberté, grand galop, errance, itinérance, mais aussi de Mongolie et de rituels grâce auxquels l’artiste récupère sa matière première. Et puis eux, ils ont fait le choix du bois : Antonis Cardew et Arnaud Mainardi. Le premier, ébéniste et designer, conçoit aussi bien des pots à tout, à partir de branches de pommiers, que des « boîtes à rien » avec les rebuts de ses productions. Le second, artisan d’art, menuisier et fondateur d’Atelier Chatersèn, a travaillé avec l’architecte Hugo Haas pour créer Prototype, une table en châtaignier et acier, que le duo de Sinople compare à  « un morceau de forêt ».

Tout explorer, décloisonner les métiers, ne pas s’enfermer

Coque (détail), L'Oseraie de l'Ile - © Anthony Girardi

Prototype (détail), Hugo Haas & Atelier Chatersèn - © Anne-Sophie Auclerc

Pour trouver les créateurs qu’ils représentent, Julien Strypsteen et Éric-Sébastien Faure-Lagorce fouinent, écoutent, regardent, trainent dans les expos, les centres d’art. Ils font la sortie des écoles aussi, comme celle de la HEAR (Haute école des arts du Rhin) par exemple. Ils veillent, surveillent, car ils éditent aussi quelques pièces. C’est le cas de la table Prototype, mais aussi d’une série limitée et numérotée de « vases couchés », créés par Atelier Polyhedre. Ils veulent tout explorer, décloisonner les métiers, ne pas s’enfermer. « On ne se fixe pas de calendrier pour nos expos », confie Éric-Sébastien Faure-Lagorce. Même si le duo a déjà en tête les deux prochains thèmes, rien ne presse. Priorité à la qualité, l’exigence et à « une ligne éditoriale qui permet de rebondir sur l’actualité ». Rien n’est figé, ni réchauffé. Ce que le duo redoute le plus ? « Perdre la spontanéité de pouvoir nous exprimer en tant que galeristes. »

Expo « Paysage intérieur », jusqu'au 20 décembre 2020 : 21-23 rue des Filles du Calvaire - Paris 3e.  Et Sinople, c'est aussi ICI.