© François Moreau
Elle est arrivée en souriant. Détendue en apparence. C’était pourtant une journée particulière : elle soumettait son travail de fin de cursus à un jury d’experts. Caroline Voros clôturait ainsi trois années passées à Esmod, l‘école de mode la plus ancienne du monde. Et pour cause : celle-ci a vu le jour en 1841, sous l’impulsion du tailleur et inventeur Alexis Lavigne, à qui l’on doit le buste mannequin et le mètre ruban. Rien que ça… Il y avait de la pression dans l’air et de la tension dans les couloirs de l’école, à Pantin. Avec des étudiants sur leur 31. D’autres en train de fixer leurs dernières épingles sur une veste, un boléro, un manteau. Caroline Voros, elle, est entrée dans la salle de son jury en se démarquant d’emblée des créations trop savantes, des cuirs travaillés à l’excès, des strass superflus. Son parti pris, c’était le tablier de jardinier en denim, qu’elle a détourné avec classe, sans faire trop classique. Brillant. Bluffant. Car si elle aime la simplicité, elle n’a pas fait si simple que ça. Œillets, nœuds, mousquetons, boucles de serrage, surpiqûres sur des poches plaquées, plissées, compartimentées : elle a soigné chaque détail et décroché le « coup de cœur » du jury « Femme 1 ».
Sa première Singer à 13 ans…
« Je suis une manuelle depuis toute petite », confie Caroline Voros, dont le visage s’anime sur une image pixélisée, via Skype. Elle s’est connectée depuis le domicile de ses parents à Châteaubriant, près de Nantes. C’est là qu’elle a grandi. C’est là aussi qu’elle a confectionné les premières tenues de ses Barbie. Les tissus, les étoffes, le maniement des aiguilles et la couture à la main : elle a tout découvert avec sa grand-mère. Pour son stage de classe de 3e, elle postule chez une couturière castelbriantaise. Elle est prise. Là, elle apprend à se servir d’une machine à coudre. Résultat : quand d’autres fument leur première clope à 13 ans, elle, au même âge, se fait offrir sa première Singer. « Je fabriquais des poupées Tilda », se souvient-elle. Mais pas pour les aligner sur le rebord d’une cheminée : elle les vendait aux copines de sa grand-mère. C’est d’ailleurs le déclic : « Quand j’ai commencé à m’affranchir des patronnages des poupées, j’ai compris que je pouvais faire de la conception de vêtements, un métier. »
© François Moreau
Start-up, durable et nouveaux processus de fabrication
© Bérangère Moquet
Son bac ES en poche, Caroline Voros intègre illico l’antenne rennaise d’Esmod. Elle va y rester deux ans, puis faire sa dernière année sur le site parisien de l’école. « Là, il m’a fallu un temps d’adaptation », reconnaît-elle. Normal : elle est passée d’une promo d’une trentaine d’étudiants à un campus XXL partagé entre Paris et Pantin, le tout avec les Gilets jaunes, les grèves de transport et le confinement en toile de fond. L’idée du tablier comme thème de réflexion, pour conclure sa formation, est venue de l’envie d’habiller « une double vie. « Je suis partie du quotidien d’une femme qui exerce deux métiers, ingénieur et fleuriste. Elle peut donc être confrontée à travailler en ville comme à la campagne », explique Caroline Voros. D’où le choix du coton épais, à la fois résistant et facile à entretenir. D’où aussi la subtilité de certaines de ses pièces : avec elle, le tablier devient amovible, s’intègre dans une chemise ou se décline en jupe. Du sur mesure pour un double « je » et « c’est bien ça qu’il fallait démontrer ». Actuellement, la modéliste termine un stage chez Atlein, marque créée par Antonin Tron, qui a fait ses classes à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers et dont les robes en jersey ont déjà la cote. La suite ? Caroline Voros, également diplômé d’un Bachelor en « marketing de l’innovation », parle de start-up, nouveaux textiles, mode durable et processus de fabrication pour « des vêtements qui ne se jettent plus, mais que l’on customise pour leur donner une valeur ajoutée ». Il y a de la vie et de l’humain dans tout ça. Il y a aussi l’audace de la jeunesse : Caroline Voros a 20 ans.