En 2015, le verdict tombe : elle doit porter des lunettes. Elle s’y résigne. Pas le choix. A l’usage, elle s’aperçoit qu’elle ne les a pas toujours à portée de mains. Elle les pose ici, là, un peu partout chez elle, dans sa maison à Arcueil, ou au fond d’un sac, sur la table d’un bistrot… Elle les oublie. Elle les perd. La galère. Surtout qu’elle n’aime pas « quand un objet traine là où il n’a pas sa place ». Pas sa came, le désordre. Elle se met alors en quête d’un étui. Un étui pour ranger ses binocles, mais qu’elle pourrait aussi garder, porter, emporter, transporter, sans redouter la faute de goût. Car Sigrid de l’Epine a l’allure de celles qui ont joué les étoiles défilantes dans les fashion weeks et autres salons de haute couture. Pas question, donc, de s’encombrer d’un accessoire clinquant, trop voyant : pas bien fait pour elle. « J’ai cherché l’étui idéal dans des tas de boutiques et même de grandes maisons », dit-elle. En vain. Alors elle prend ses crayons, des feuilles de papier et dessine l’étui qu’elle n’a trouvé nulle part. Un étui d’une grande simplicité, souple, léger, pratique car doté d’un cordon pour l’avoir autour du cou « comme un bijou », ajoute-t-elle. Sa matière ? « Le cuir, bien sûr. » Un cuir pleine fleur, tanné de façon végétale, qui se décline en fauve, brun, noir et qu’elle confie aux mains expertes d’une couturière. Le résultat : un objet  volontairement « 100% made in France ». Car elle préfère les artisans, leur savoir-faire, les petites séries, la singularité de chaque peau, de chaque étui, à toute logique industrielle. Pas pour elle, ça non plus. Parce qu’elle est trop libre, trop dans l’instant pour que les prévisionnels et autres tableaux Excel prennent le pas sur la création. La spontanéité fait partie de sa personnalité et de sa façon de fonctionner. Quand elle se sent trop à l’étroit quelque part, elle prend la tangente. Obligée. D’où la vie aux multiples rebondissements de cette élégante à l’audace tout en fantaisie et excentricité.

 

Elle défile pour Margiela, rejoint Ghesquière chez Balenciaga

et flirte avec la haute couture chez Chanel

 

Née à Tours, elle a vite eu plus d’atomes crochus avec le babyfoot et les flippers qu’avec l’école, les profs et leurs cours. Elle ne s’attarde pas sur ses années de 2nde et 1ère à la Légion d’honneur. Un peu plus sur sa Terminale à Blois, dont elle s’échappait pour ses premières virées au Palace, à Paris. Son bac en poche, elle s’installe dans la capitale – « j’avais une chambre de bonne, rue du Bac » - et s’inscrit en lettres modernes à Censier, « où j’ai dû aller deux fois ». Son argent de poche, elle le gagne comme hôtesse, puis comme mannequin. A partir de là, jet-set et jet lag rythment une vie entrecoupée de jobs dans la mode ou autre fugue aux Philippines, jusqu’à ce que Sigrid de l’Epine défile pour Martin Margiela, pendant les années Hermès du créateur. La suite : dix ans au sein de la garde rapprochée de Nicolas Ghesquière chez Balenciaga, puis trois années à la tête des relations publiques pour la haute couture chez Chanel. Un de ses faits d’armes : le shooting de Cindy Sherman, qui s’est immortalisée « chanelisée » à l’excès pour retracer vingt ans d’histoire de la maison de la rue Cambon… C’était au début des années 2010. Depuis, Sigrid de l’Epine conseille en image et en communication. Un travail auquel s’ajoute désormais ses collections d’étuis estampillés Del’Ep. Car en marge du modèle pour les lunettes, elle en a dessiné un pour les cartes de crédit et, dès l’automne 2020, elle compte bien parer de cuir aussi les téléphones. Vendus sur son site Web, quelques exemplaires de ses étuis sont également mis en scène dans la galerie May, rue de Lille à Paris, telle une invitation à la flânerie, occupation que Sigrid de l’Epine affectionne. Mariée – au peintre Jean-Charles Blais - et mère de deux enfants, elle ne conçoit pas sa vie professionnelle « sans prendre le temps de boire un café, se balader, faire une course ». Comme elle ne concevait pas, autrefois, de préparer son bac sans escapades, en train Corail, entre Blois et Paris.