« Il a connu tout le monde. » Une phrase courte qui en dit long sur le photographe Jesse A. Fernandez. C’est Sitor Senghor qui parle. Directeur de la galerie Orbis Pictus, à Paris, il vient de prolonger jusqu’au 4 juillet l’expo qu’il consacre à Fernandez et « ses modèles ». Un parti pris visuel et éditorial qui met, côte à côte, l’œuvre d’un artiste et le portrait de celui-ci réalisé par le photographe cubain. Le casting ? Que du beau monde : Bacon, Chagall, Dali, Ernst, Hartung, Hockney, Miro, Picasso, Soulages, Tapies… Fernandez les a tous rencontrés, approchés, shootés. Aux tirages en noir et blanc – les contemporains sortent de La Chambre Noire – répondent des peintures, aquarelles, sérigraphies, collages, dessins… Le tout sélectionné par Sitor Senghor. Un choix sûr, mené par cet ancien banquier d’affaires, polyglotte, amateur d’art, fils d’ambassadeur, qui a grandi à Rio, Rome, puis Paris, où il a fait ses classes prépa avant d’intégrer l’Essec. Parcours classique, jusqu’au jour où il a changé de cap, quitté les carriéristes de la  finance pour leur préférer les vies d’artistes.

A New York, Fernandez croise les routes de Duchamp, Borges, Dali…

Antoni Tapies, Barcelone, 1975 - Aquarelle et dédicace par A. Tapies sur tirage argentique de Jesse A. Fernandez.

« L’art a un visage » : c’est le titre que Sitor Senghor a donné à cette expo. Ici, l’art a le visage des artistes immortalisés par Fernandez. Mais aussi le visage de Fernandez lui-même. Né en 1925 à La Havane, sept ans plus tard sa mère part avec lui en Espagne, pour échapper à la dictature de Machado. Puis, retour à Cuba en1939, cette fois-ci pour fuir Franco. C’est au début des années 1950 que Fernandez choisit la photo comme mode d’expression. Il balade son Leica un peu partout dans le monde. En Colombie, il croise les routes de Botero, García-Marquez, Alvaro Mutis ; à New York, celles de Duchamp, Borges, Dali, Françoise Sagan… La liste est longue. Et ce d’autant qu’il a travaillé pour les magazines Life, Esquire, Paris Match ou encore The New York Times. A l’orée des années 1960, Fernandez retourne à La Havane, collabore au journal Revolucion et devient même le « photographe personnel » de Castro. Puis, ce sera de nouveau New York, avant Paris où il s’installe en 1978 « pour l’amour d’une femme ». Paris, où Fernandez est mort en 1986, après une vie qui a tout d’un roman. A la fois photographe, reporter, globe-trotter, artiste – il était aussi peintre et sculpteur -, ce touche à tout, curieux de tout, a laissé des piles d’archives dans lesquelles Sitor Senghor a puisé avec pertinence, audace et sensibilité. Une façon singulière de prolonger l’œuvre de son grand-oncle, le poète et premier président de la République du Sénégal, Léopold Sedar Senghor, lui-même immortalisé en son temps par Fernandez. Boucle bouclée.

Orbis Pictus : 7 rue de Thorigny, Paris 3e. Tél : 09 53 88 82 89. Site : www.orbispictus.art

Et aussi : catalogue de l'expo L’art a un visage - Jesse A. Fernandez et ses modèles, édité par Orbis Pictus - 25 €

Autoportrait, atelier de Reg Butler, Londres, 1978.