Série Instantanés, portraits de photographes avec autoportraits / épisode 5 .

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Gamine, elle se voyait, plus tard, dans la peau d’un espion. « Je voulais vivre dans l’aventure et l’idée d’enquêter, ça me plaisait », confie Myriam Roehri. Alsacienne, adoptée, elle a grandi à Strasbourg. Son premier appareil photo, elle s'en souvient évidemment : « Je l’ai eu pour mes 10 ans, à Noël. C’était un Kodak instamatic, avec un flash en forme de cube. Je l’ai encore. » A l’époque, elle immortalisait « tout », sans penser que ça pouvait être un métier. « Tout », mais pas n’importe qui : « Au remariage de mon père, un des deux témoins était une femme en costume trois pièces rouge. Je l’ai trouvée fascinante. Je l’ai prise en photo sous toutes les coutures. Une pellicule entière lui a été consacrée ! » Myriam Roehri n’avait que 11 ans. Puis, elle fait une pause dans son récit, boit une gorgée de café, manipule son téléphone et montre une photo qu’elle a prise de sa petite sœur, en train de se rendre à cette fameuse cérémonie. Cadrage, lumière, couleurs… tout était prometteur. Fan de bouquins et des salles obscures, le jour du bac, Myriam Roehri passe la philo, mais rend copie quasi blanche à l’épreuve suivante. Pas pour elle, les études. Elle a envie d’autre chose. De liberté, tout simplement. A 18 ans, elle va en boîte de nuit, « avec ma valise ». Elle en sort à cinq heures du matin, fait du stop, grimpe dans un camion, direction la capitale.

« J’ai croisé la route de quatre garçons »

« En arrivant à Paris, j’avais une adresse et rendez-vous avec un ami d’ami… » Elle devait le retrouver au Studio, un des premiers bars à vidéo, avec billard, du côté du boulevard Sébastopol. C’était le 17 novembre 1983. Cet « ami d’ami » n’est jamais venu. Myriam Roehri a posé sa valise près du billard et, là, « j’ai croisé la route de quatre garçons qui m’ont emmenée au Bus Palladium. » Dans cette bande à part : le comédien Christian Vadim, qui s’apprêtait à faire une apparition dans Les Nuits de la pleine lune d'Eric Rohmer, et Pierre Klein – fils du photographe William Klein - qui va héberger, le soir même, Myriam Roehri dans la chambre de bonne de l’appartement familial de la rue de Médicis. Et le lendemain matin : « J’étais en bas de l’immeuble où habitait ma mère biologique, à Montrouge. » Car sa fugue était aussi motivée par cette quête de nouveaux repères, racines, identité.

« J’allais bosser avec Rebelle »

« On allait tous les soirs au Bus », reprend-elle en commandant un second café au serveur du Rostand, brasserie de la rue de Médicis où elle a une partie de ses premiers souvenirs parisiens. « La mère de Pierre Klein m’avait trouvé un job de vendeuse chez agnès b., rue d’Assas », dit-elle. Mais elle s’est vite lassée de la clientèle « trop classique » de la rive gauche, pour lui préférer celle, plus décalée, de la boutique de la rue du Jour. « J’allais bosser avec Rebelle » : un saint-bernard qu’un copain lui avait laissé en pension. « Rebelle me suivait aussi aux Bains et jusque dans le métro ! » Les Bains, où elle va rencontrer son futur mari, photographe. Le métro, dont elle aimait immortaliser « les gens qui en sortaient », avec un Nikon prêté par Pierre Klein. De chez agnès b., « j’en suis partie quand les pointeuses sont arrivées » : horreur des horaires oblige. Ensuite, Myriam Roehri va graviter une dizaine d’années entre pub et presse, en tant que styliste. Puis, comme agent de photographes, durant une autre dizaine d’années. C’est la séparation avec le père de son fils qui va l’inciter à passer de nouveau derrière l’objectif. Ce qu’elle n’avait plus osé faire depuis qu’elle vivait avec… un photographe. Ses premières séries datent du milieu des années 2000 : des photos sur le thème de « l’enfant roi ». Les images vont plaire et trouver leur place chez Colette, pour l’Epiphanie. Myriam Roehri se fait repérer par la presse, par la pub. Elle se distingue aussi avec ses portraits : ceux d’Isabelle Huppert, Jeanne Balibar ou encore David Lynch. « Je travaille toujours en argentique. Parce que c’est magique. Il y a toute la révélation et, pour dévoiler, il faut du temps… La photo c’est comme la cuisine, quand c’est instantané, ce n’est pas bon ! » Et, côté fourneaux, elle sait de quoi elle parle : installée désormais à une heure de Paris, « dans la forêt – parce que j’aime la jungle, Tarzan et le mystère…- », elle se nourrit des récoltes de son potager de 50 m. Elle continue, bien sûr, la photo. Elle a même amorcé un travail personnel intitulé « Variations sur l’amour »,  qu’elle mène avec le soutien de la région Hauts-de-France. Enfin, quand on lui parle de transmission, la fille du Bus Palladium répond : « J’ai offert un appareil photo à mon fils. Mais il préfère en faire avec son téléphone. »