La première fois que je l’ai vu, c’était rue Jacob. A Saint-Germain-des-Prés. Son quartier parisien préféré. Il a vécu un temps dans le 9e arrondissement, par accident. Son obsession était alors de vite repasser rive gauche, pour renverser le 9 de son code postal et en refaire un 6… Le 6e arrondissement : c’est là qu’il a atterri la première fois qu’il est venu à Paris. C’était en 1969 : Julio Bernadou avait tout plaqué, quitté Ibiza et ses filles dénudées, « pour venir à Paris, voir des femmes habillées ». Né à Buenos Aires, cet architecte et designer a sillonné la terre entière. Posé ses valises à Londres, New York, Berlin, Buzios, Panama… Figure de Saint-Germain, il a parlé boxe avec Delon dans un avion, refait le monde avec Mastroianni, Dali et les maîtres de l’art cinétique : Le Parc, Soto, Cruz-Diez… Il se disait « dans le faire, l’action et sans aucun plan de carrière ». Prendre un café avec lui, c’était s’échapper, respirer, flirter avec la liberté. J’ai le souvenir d’un shooting avec lui chez le sculpteur Laurent Bolognini, d’un café sous le portrait d’une vraie fausse Joconde, d’un apéro sur un toit terrasse rue Saint-Honoré… Julio est mort hier. Contre la maladie, cet ancien rugbyman n’a rien pu faire. Le mal n’a pas l’esprit d’équipe. La médecine a parfois ses limites. Dans son dernier SMS, il me proposait un café au Select. Je n’ai pas pu y aller… la faute au boulot. Depuis septembre, nous étions voisins. La Closerie des Lilas nous séparait. Il était côté 6e. Il avait renversé le 9…