Porte de Versailles : drôle d’endroit pour une rencontre. C’est pourtant là, dans le pavillon numéro 3, entre champagne, petits fours, objets de curiosité et musique des années disco, que l’on m’a parlé d’un ébéniste « pas comme les autres ». « Tu ne connais pas Kostia ? » « Non… » « Kostia, c’est le diminutif de Constantin en russe », explique le Kostia en question. Une appellation contrôlée, donc, derrière laquelle se cache Constantin Laan. Né en 1974, les études ce n’était pas vraiment son truc. Un peu d’éco à Assas, « où j’envoyais des avions en papier dans le grand amphi ». Une prépa Sciences Po, mais pas d’intégration dans l’école de la rue Saint-Guillaume. Un départ pour Utica, dans l’Etat de New York, où il se remet à l’éco, « parce qu’on ne voulait pas de moi dans la section art ». Pas rancunier le Kostia : « S’ils ne veulent pas que je fasse de l’art, je vais faire de l’éco pour acheter de l’art plus tard. » Parce qu’il manipule matières et outils depuis tout petit. « A 6 ans, je clouais le plancher quand mon père retapait la maison de campagne familiale. » Un père et un grand-père qui avaient chacun un atelier dans lequel, le week-end, en amateurs, ils étaient capables de bâtir bateau et meubles.

Copies d’ancien, fête, bonne franquette et désintoxication

Son premier job ? « Il était lié à l’Internet. Car en 2000, il fallait bosser dans le Net… » Mais la bulle finit en krach. Kostia atterrit alors dans la presse informatique. Pas bien fait pour lui. Il rêve d’autre chose. De travaux plus manuels. En 2006, il plaque tout pour un CAP ébénisterie aux côtés d’un ancien compagnon du tour de France. Il enchaîne comme ouvrier dans un atelier, « où je fabriquais des meubles 18e ». Pendant quatre ans, il réalise copies d’ancien et pièces dessinées par des décorateurs, avant de reprendre l’atelier Dugast, à deux pas de la Bastille. Un QG singulier, inscrit à l’inventaire des monuments historiques et situé en zone artisanale et industrielle. Après quelques travaux d’aménagement et deux tonnes et demie de déchets évacués, Kostia investit les lieux. Atelier, bureau, réserves de bois, showroom… tout est réuni dans ce passage lumineux, silencieux, bucolique, poétique, aux antipodes de la rue de la Roquette vers laquelle il conduit. Une fois tous les deux ans, une fête rassemble les ateliers voisins. Une fête qui peut démarrer le soir et finir le lendemain… soir. Autre coutume locale : les déjeuners et dîners organisés par Kostia au milieu de ses machines et pièces de mobilier encore inachevées. Une bonne franquette où l’on parle bois, métal, bronze, coupe, découpe, ponçage, vernis, laques, maquettes, mais aussi politique, médias, photo et d’avril, « le seul mois où je ne bois pas d’alcool », confie Kostia : « C’est mon mois de désintoxication ! »

La classe de l’inclassable

« On me suggère de dire que je suis designer. Je me préfère en créateur de mobilier d’art. Quant à ébéniste, c’est trop réducteur. » Hors cadre, dans aucune case, Kostia a la classe de l’inclassable. La sincérité de l’autodidacte qui a appris à dessiner sur le tas. Le chic qui le fait repérer par Thomas Erber pour son fameux Cabinet de curiosités. L’élégance de celui qui peut faire neuf heures de route dans la journée pour aller voir son ferronnier à la frontière allemande. La nonchalance de l’amateur de cigares : « J’en fume un de temps en temps. » L’humour du maître qui baptise son Jack Russell… Gloups.