« J’ai fait du droit pour rassurer mes parents. » Installé sur une banquette du café L’Adjugé, au rez-de-chaussée de l’Hôtel Drouot, Alexandre Giquello remonte le fil du temps. Né à Versailles en 1970, il a grandi et étudié à Orléans. L’envie de devenir commissaire-priseur est venue « très tôt » : « Ce qui n’est pas courant dans la profession. » Une vocation, donc, pour celui qui feuilletait en permanence « les livres d’art de mes parents ». Résultat : une fois son droit et son service militaire – à Sarrebourg – terminés, il décide d’intégrer l’École du Louvre, à Paris. Peu d’élus à l’entrée, beaucoup de filles en cours et une place de 4e de sa promo à sa sortie, diplôme en poche, en 2000. La suite ? Un examen pour devenir commissaire-priseur, qu’il réussit du premier coup, suivi de deux années de stage, durant lesquelles il travaille au sein de la maison de ventes de Jean-Claude Binoche. Celui-ci veut s’associer avec Alexandre Giquello, qui refuse la proposition pour lui préférer le rachat de « la petite étude » de Paul Renaud, en 2002. L’occasion de tout voir, tout savoir, tout apprendre du métier côté terrain, pour mieux retrouver la cour des grands en 2009, en fusionnant avec Binoche. Désormais seul à la barre de cette maison de ventes, Alexandre Giquello cumule son métier de commissaire-priseur avec celui de président du groupe Drouot depuis 2017 – ce qui représentent trois mandats -. Au programme : double casquette, double vie et horaires à rallonge. Car le groupe Drouot, c’est une filiale presse – avec entre autres La Gazette Drouot -, Drouot.com, Drouot Estimations, Drouot Enchère, Drouot Immobilier et 130 actionnaires à satisfaire. Un monde. Une planète à part, où le big boss reconnaît que « les 35 heures sont vite faites dans la semaine ».
« À Drouot, on recycle en permanence… »
« Je ne m’y attendais pas. Et ce d’autant que je n’étais pas candidat. » Lorsqu’il a été élu pour la première fois à la tête de Drouot – « notamment pour mon sens de la diplomatie » -, Alexandre Giquello a été surpris. Mais le job ne se refuse pas. Trop grisant. « On est président 24 heures sur 24 », confie-t-il. Le plus gros du boulot ? « Le travail de représentation de Drouot, modèle unique au monde, où l’on recycle en permanence… » Les enchères contribuent, en effet, à la consommation de seconde main. « Il se trouve que cela colle bien à l'air du temps : faire l’acquisition d’une table XVIIIe, cela évite de couper un arbre en Suède et c’est souvent moins cher », commente le commissaire-priseur, également collectionneur de livres vénitiens d’humanistes de la Renaissance. Bon orateur, toujours tiré à quatre épingles, il veille aussi à faire entendre la voix de Drouot hors ses murs du 9e arrondissement de Paris. Son mode opératoire : « Chaque soir, il faut choisir le bon événement, le bon vernissage… Même scénario à l’heure du déjeuner comme à celle du dîner. Il faut également être à l’écoute de tout, de tous, sans oublier de noter les idées qui viennent la nuit. »
« Le digital a bouleversé nos pratiques »
Quand on lui parle « concurrence », Alexandre Giquello cite Sotheby’s et Christie’s, les multinationales de l’art. Face à elles, le groupe Drouot doit s’adapter, muter, adopter notamment les nouvelles règles du digital, « qui ont bouleversé nos pratiques ». Un chiffre : « Aujourd’hui, 60% des adjudications en vente publique se font en ligne et 100% des lots sont poussés aussi sur le Web », constate Alexandre Giquello. La plateforme numérique cartonne. « Pas moins d’un million de personnes sont inscrites sur le site de Drouot », dit encore le grand patron, qui croit beaucoup à « la place de Paris » dans les enchères au niveau international. Le commissaire-priseur qui le bluffe le plus aujourd’hui ? « C’est Adrien Meyer, à New York. » En 2024, cette figure de Christie’s, à Manhattan, a adjugé un tableau de Magritte pour… 121 millions de dollars.
Question de transmission et d’éducation à la curiosité
« Si j’avais plusieurs vies, je passerais davantage de temps avec les clients, qui doivent se sentir en confiance en venant à Drouot », explique Alexandre Giquello, le pédagogue. Car l’offre est large dans la quinzaine de salles du 9 rue Drouot, avec des prix parfois moins élevés que dans la grande distribution… Encore faut-il le savoir. Question de transmission et d’éducation à la curiosité. Puis le commissaire-priseur conclut l’entretien, accordé à L’Adjugé, par cette confession : « Après coup, je sais ce que je voulais faire quand j’étais petit. Je voulais devenir artiste, car je peignais beaucoup… Je voulais devenir Picasso ou rien, un génie ou rien et cela n’a rien été de tout cela ! »