Ils étaient dix-huit en lice. Neuf duos composés d’étudiants inscrits en école de design. L’idée : s’emparer de chutes de papier et de fibre de cuir, pour créer un objet inédit, surprenant, utile et beau, en six heures chrono. C’est le principe de la School Paper fondée par Procédés Chenel International. Cette année, la cinquième édition de ce « concours workshop » s’est déroulée en trois temps. Avec une première rencontre à Vanves, dans les locaux de Procédés Chenel, à l'orée du printemps. Une deuxième étape à Tours, quelques semaines plus tard, pour se familiariser avec la fibre de cuir, matière issue des ateliers de l’association Valesens, partenaire de l'événement. Et, enfin, le jour J : à savoir le 10 juin 2023, au domaine de Villarceaux, à Chaussy, dans le Vexin. Là, les étudiants ont fait preuve d’audace et de détermination pour boucler un projet en un temps record. Avec la possibilité d’arriver sur place avec le matériel de son choix. Le tout face à un jury de professionnels exigeants, assoiffés de nouveautés, en quête de nouveaux talents. Pas évident pour les jeunes pousses lâchées en liberté dans le domaine du Val-d’Oise, où les ateliers de La Source-Garouste sont installés depuis 2002. Il n’en demeure pas moins que tous les binômes étaient présents, équipés de ciseaux, cutters, pistolets à colle, bouts de ficelle, fils de fer… et même machine à coudre pour certains.

Dix ans les séparent…

Dès les premiers échanges à Vanves, quelques profils se sont distingués des autres. Parce que plus curieux, plus touche-à-tout au plus près des liasses et rouleaux de papier, plus observateurs, plus interrogateurs… À l’instar d’Ariane Briot et Yifang Zhang. En duo pour défendre les couleurs de Camondo, leurs routes se sont croisées sur les bancs de cette école d’architecture d’intérieur et de design, où elles sont en troisième année. Sans ce cursus à Camondo, rien ne les prédestinait à se rencontrer. Car dix ans les séparent, l’une a grandi à Paris, l’autre en Chine. Ariane Briot, 21 ans, dessine depuis toujours. À 6 ans, elle savait déjà qu’elle bosserait dans la mode, le design ou l’archi. Et en marge de ses cours au lycée Fénelon Sainte-Marie, elle a fréquenté avec assiduité les Ateliers du Carrousel. Yifang Zhang, quant à elle, vient de fêter ses 31 ans et c’est après une licence en finances, un master en management de projet et un passage dans un incubateur pour aider des start-up à grandir, qu’elle a eu envie de s’initier à l’architecture d’intérieur. Drôle du duo, donc, qui s’est formé puis soudé à Camondo, dans le cadre de concours auxquels les deux apprenties designers ont participé. La School Paper en fait partie.

« Entre claustra et vitrail »

10 juin 2023, 10 heures du matin. Plein soleil au-dessus du domaine de Villarceaux. Ariane Briot et Yifang Zhang ont peu dormi. Prépa de la compète et stress obligent. Elles ont pris le parti de voyager léger, avec seulement des cutters, un tapis pour couper, un fer à lisser… « le tout dans un petit sac », précise Ariane Briot. La matière première étant sur place. À savoir : des chutes de Drop Paper, papier non-tissé, composé de cellulose, polyester et fibre de verre, à assortir avec de la fibre de cuir, matériau recyclé composé de broyats de cuir et de liants naturels. Avec tout de même un moment de solitude, lorsqu'elles ont vu d’autres candidats arriver avec machines à coudre et valises XXL remplies à ras bord… « On avait oublié d’apporter des pinces... alors on a dû se débrouiller autrement et ça nous a fait perdre un peu de temps… » Qu’à cela ne tienne. Si elles ont donné l’impression de bricoler, rafistoler, jouer petit bras sur un coin de table durant l’épreuve, lorsqu’elles ont présenté, en dernier sur la liste, leur « Light Brick », elles ont conquis le jury. À l’unanimité. Parce qu’elles avaient bien préparé leur coup, en multipliant les essais en amont avec des chutes de papier et de fibre de cuir récupérées à Vanves et Tours. Très vite, elles ont compris qu’il fallait jouer avec la légèreté et l’effet luminescent du Drop Paper, tout en misant sur une hybridation cuir-papier, opacité-transparence. Le résultat : un objet lumineux, « entre claustra et vitrail », qui diffuse la lumière naturelle, mais aussi l’artificielle. Cette curiosité, qui a décroché le premier prix – un chèque de 1 000 euros -, sera présentée du 14 au 28 septembre 2023 au festival France Design Week Loire Valley à Tours, dans le cadre de l’exposition « Mon beau déchet ». Mais « Light Brick » sera également visible à la rentrée à Paris, chez Heureux Les Curieux, dans le Marais. Là, durant quatre jours, Ariane Briot et Yifang Zhang vont décliner leur création en appliques, en cloisons… avec une scénographie inspirée par le papier et le cuir, sur laquelle elles planchent déjà.