Il leur a demandé à toutes de « baisser un peu le menton ». Réflexe de photographe lorsqu’il réalise un portrait. Puis, il les a immortalisées. « Shootées », comme on dit. « Il », c’est Helmut Newton. « Elles », ce sont ces femmes, nombreuses, qui ont pris la pose face à l’objectif du Berlinois né en 1920. Certaines ont accepté de raconter ces séances photo, d’une autre époque, devant la caméra de Gero von Boehm. Le réalisateur en a fait un film, intitulé Helmut Newton : l’effronté, dont la sortie en salle est prévue ce 14 juillet. Nadja Auermann, Marianne Faithfull, Grace Jones, Charlotte Rampling, Isabella Rossellini, Claudia Schiffer, Hanna Schygulla… toutes ont « joué » avec Newton, le metteur en scène, l’amuseur de ces dames. « Il était un peu pervers… mais moi aussi », confie Grace Jones. Isabella Rossellini parle de « photos pleines d’humour ». Et Newton, le provoc-acteur, de renchérir : « Je suis un voyeur professionnel. »

David Lynch and Isabella Rossellini, Los Angeles, 1988 (c) Foto Helmut Newton, Helmut Newton Estate Courtesy Helmut Newton Foundation

Brassaï, « le plus grand maître de la nuit »

Invitation à une immersion de 90 minutes dans l’univers du photographe. Le film met en avant la liberté de ton de Newton et les cartes blanches à répétition qu’il avait dans la presse de mode. Quitte à choquer, déranger, perturber, par exemple en détournant, de leur usage premier, une selle de cheval et une cravache… Dans la même veine, il shoote des mains de femme, ornées de bijoux Bulgari, en train de découper un poulet. Lorsque les images sont sorties dans Vogue, la maison de luxe a failli suspendre son contrat publicitaire avec le magazine. Mais Newton sait aussi révéler des personnalités, comme la Rampling après la sortie de Portier de nuit, ou Marianne Faithfull, au début des années 1980, qui vit dans la misère avec un punk, dont elle a chipé le blouson de cuir pour le shooting… Quand on lui demande ses sources d’inspiration, Newton parle de sa jeunesse, du Berlin des années 1920, 1930, de l’imagerie nazie et de l'acteur Erich von Stroheim. Quant à son goût pour les images en nocturne, il le doit au travail de Brassaï, qu’il appelle « le plus grand maître de la nuit ».

Self portrait, Monte Carlo, 1993 (c) Foto Helmut Newton, Helmut Newton Estate Courtesy Helmut Newton Foundation

« Etre libre de dire non »

Newton et l’art du portrait : de Deneuve à Le Pen. Newton et l’appât du gain : il veut gagner de l’argent pour « être libre de dire non ». Newton et June, qu’il rencontre en Australie en 1940, épouse en 1948 et ne quittera jamais. Newton et son face à face avec Susan Sontag, en 1979 dans l’émission Apostrophes, où la romancière qualifie ses photos de « misogynes »… C’est tout ça aussi que le film de Gero von Boehm aborde avec justesse, renfort d’archives passionnantes et bande originale où les Cure côtoient Astor Piazzolla. Puis, à la fin, le « héros » meurt : 23 janvier 2004, alors qu’il quitte l’hôtel Château Marmont à Los Angeles, pour se rendre à une séance photo, Newton est victime d’une crise cardiaque au volant de sa décapotable. Il est parti dans le décor. Ses photos sont entrées dans des musées. Et la pochette de l’album Love at First Sting, des Scorpions, reste la première image que j’ai vue de Newton : c’était en 1984.

© The Helmut Newton Estate / Maconochie Photography