Pour les habitants du quartier de la Bastille, à Paris, il est connu pour avoir un magasin de jouets. Ce qui est vrai. Au numéro 10 de la rue de Lesdiguières, Thomas Baudeau vend des peluches, trains électriques, coureurs cyclistes, poupées, jeux de société… dans une boutique dont la porte vitrée, bordée de bois patiné, a gardé quelques stigmates du passé. Des lettres dorées indiquent encore : « Maison fondée en 1878. » Thomas Baudeau, lui, n’est là que depuis le début des années 2000 : « J’ai pris la suite d’un plombier chauffagiste. » Derrière son intérêt pour les jouets se cache une passion pour les objets. Et ce, depuis tout-petit. Lorsqu’il parle de l’atelier de son grand-père architecte, passé par les Beaux-Arts de Paris, il jubile : « C’était à l’image des ateliers d’artistes de la fin du XIXe. Il y avait un piano au milieu des tables de travail et de tous les plans… Je me souviens qu’on dînait là ! » Si on ajoute au tableau de famille, un père ingénieur, il y avait une certaine logique à ce que le jeune Baudeau s’oriente vers des études en lien avec le dessin. Après son bac, il est reçu aux Arts déco de Strasbourg – ville où il a grandi – et aux ateliers de l’Ensci (Ecole nationale supérieure de création industrielle), à Paris. « J’ai choisi Paris. » Pour avoir « un espace à soi » dans les ateliers de la rue Saint-Sabin. Pour découvrir la capitale, aussi. « Je vivais dans une chambre de bonne avec vasistas, Square du Croisic, juste à côté de l’hôpital Necker. » Prémonitoire ou pas, la santé publique inspire Thomas Baudeau. A l’Ensci, il planche sur « la couleur et les outils en milieu hospitalier ». Quant à son premier job, pendant trois ans, il va participer à la création d’une prothèse d’assistance cardiaque.

Une pratique du tannage du cuir acquise chez les Scouts…

A la naissance de son premier enfant, Thomas Baudeau lui dessine et fabrique des chaussons en agneau plongé. Par utilité, par plaisir aussi, avec une pratique du tannage du cuir acquise lorsqu’il était scout. Les chaussons plaisent. On les repère. Changement de cap : le designer se fait entrepreneur, crée la marque Filament et décline ses créations en trois pointures et une soixantaine de couleurs. Les chaussons trouvent leur place aussi bien au Printemps Design à Beaubourg que chez Caravane, en passant par les Frigos du XIIIe arrondissement. C’est à cette période que Thomas Baudeau investit la rue de Lesdiguières et baptise son échoppe, Filament. L’espace abrite d’abord des bureaux, puis devient un lieu de vente des fameux petits souliers et de jouets. Aujourd’hui, si on pousse la porte coincée entre caisse enregistreuse XIXe et masques d’animaux, on découvre également l’atelier du designer. Un joyeux bazar, au premier coup d’œil. Mais on comprend vite que ce désordre a son ordre, avec ses cotes, ses repères, bobines de fil d’un côté, papiers de l’autre, archives, livres, dessins, essais transformés ou pas encore. Ici, la formation et la curiosité innée de Thomas Baudeau lui permettent de donner vie aussi bien à des automates, qu’il actionne à l’aide de moteurs, qu’à des scénographies de vitrines « avec plan, arrière-plan, profondeur de champ ». La maison Diptyque l’a d’ailleurs sollicité pour réitérer ses prouesses de metteur en scène, dans ses vitrines du boulevard Saint-Germain. Soucieux des détails, sans cesse en train de tester, tenter, innover, le quotidien du designer n’est guidé que par son envie de « faire bien ». Ces temps-ci, il se focalise sur le pont de Sully. Il l’a « shooté » et filmé « des dizaines de fois », dit-il. Telle une idée fixe. Une obsession. Un travail répétitif, pour certains. Pour lui, « c’est comme une gamme de couleurs ». Rien que cette réponse, où fantaisie et poésie se rejoignent, doit inciter, une fois chez Filament, à pousser la porte qui mène à l’atelier caché. Un cabinet très particulier, dont on ressort bluffé, émerveillé.