« J’ai toujours dessiné. » Et ce n’est pas une posture de le dire. Car parmi les premières créations dont se souvient Emmanuel Pierre, il y a ses dessins réalisés à bord du paquebot qui le ramenait, lui et sa famille, de Madagascar vers la France. C’était en 1964. Il avait 6 ans, avec dans ses bagages des souvenirs d’animaux exotiques, de goût de goyave, de maison, de jardins, de copains… Fils de militaire, il apprend vite à bouger, voyager, changer d’air, s’adapter. Un esprit nomade doublé d’une culture bretonne par sa mère et provençale par son père. Des ingrédients qui, une fois mixés, facilitent l’ouverture d’esprit. « J’ai détesté l’école », reconnaît Emmanuel Pierre en buvant du thé chez lui, à Paris, du côté de la gare du Nord. Ado, pour s’échapper des bouquins scolaires, il dessinait partout, tout le temps. « Certains profs nous encourageaient à décorer nos cahiers » : les siens, évidemment, sortaient d’emblée du lot.

Les aventures de Satanas aux Indes, mises en images en écoutant Polnareff…

Sa première BD ? Il l’a crayonnée à l’âge de 10 ans. Avec la complicité de sa sœur de six ans son aînée. Et il l’a encore chez lui : l’album broché « maison » raconte les drôles d’aventures de Satanas aux Indes, mises en images « en écoutant le Bal des Laze de Polnareff ». « La musique m’a toujours inspiré, dit-il. J’ai plané sur les Pink Floyd et les Doors. Mais ma préférence va pour le classique des XIXe et XXe siècles. J’adore Ravel, Stravinsky, Satie, Messiaen… » Une fois son bac décroché à Sainte-Thérèse à Paris – « où mon prof de français, spécialiste de Céline, m’a donné envie de lire » -, il intègre les Métiers d’Art, puis les Beaux-Arts, où il étudie la gravure. Ensuite, il fait escale au sein de l’atelier Lacourière-Frélaut et, dès le milieu des années 1980, ses dessins paraissent dans la presse. La Croix, Le Magazine littéraire, Lire, Libération ou encore The New Yorker publient ses créations. L’amorce d’une reconnaissance et du travail à rendre « à temps ». Fini les années  fêtes et « coloc » avec son frère et sa sœur, dans l’appartement familial du quartier de l’Ecole Militaire, à Paris. Les commandes s’enchaînent, y compris dans l’édition, avec un premier livre gravé, consacré aux marabouts parisiens.

Collages d’images et décollage de la planète

Emmanuel Pierre flirte également avec les collages, autre forme d’expression et d’écriture pour ce flâneur, rêveur, capable de partir loin, juste en descendant faire le marché dans le quartier indien en bas de chez lui. Collages d’images et décollage de la planète lorsqu’il détourne, avec fantaisie, objets, vêtements et personnages de gravures anciennes ou autres vieux papiers, pour leur ouvrir les portes d’un univers baroque qui lui est propre. Sollicité par Christian Lacroix pour des vitrines, puis par la maison Hermès, notamment pour une expo intitulée Dans l’œil du flâneur, il a également décoré les immenses bâches qui ont recouvert l’Hôtel du Louvre, le temps d’une vague de travaux. Il ne donne aucune limite à son terrain de jeu. La preuve : avec la complicité du paysagiste Jean-François Roth, il dessine aussi des jardins « à l’anglaise ou japonais », précise-t-il. Quant à sa dernière aventure, elle s’intitule Batras, l’enfant d’acier (Alma Editeur) : ce sont les histoires d’une « grenouille prodigieuse », dessinées par Emmanuel Pierre et racontées par Jean-Maurice de Montremy. Sortie prévue en librairie le 24 octobre.