Artiste hors pistes

Gamine, elle sautait sur les genoux d’Yves Mourousi. Un bon début sur un CV. « Parce que mes parents gravitaient entre journalisme, mode et création », confie Noémie Chaillet-Piquand. Cadette d’une fratrie de huit enfants, elle a grandi à Paris. Collégienne à Janson-de-Sailly, puis à Molière, lycéenne à Duruy, elle décroche son bac à 16 ans à Fénelon. Ensuite, la presse la tente. Précoce, elle trouve des jobs tout de suite. Sans passer par la case fac ou école. « J’ai emprunté de l’argent à un copain pour acheter un ion, le premier appareil numérique de Canon », raconte-t-elle. C’est la fin des années 1980. Munie de son nouvel « outil », elle appelle le journaliste Emmanuel Chain et lui propose des mini clips pour ouvrir son émission Capital, sur M6. Ça plait, ça marche, le concept est même vendu à Christine Bravo, alors figure montante du petit écran.

Elle imagine la première basket du monde du luxe

 Touche-à-tout, Noémie Chaillet-Piquand enchaîne avec la radio : un Nagra en bandoulière, elle sillonne Paris sur son scooter pour 95.2 et Radio Classique Affaires. Elle a à peine 20 ans quand la maison Hermès, où elle a déjà été stagiaire, lui propose de rejoindre son service de presse. Elle accepte et va passer « sept ans à la com’ ». Sept ans de réflexion, pour arriver à ce constat : « Mon truc, c’est le produit. » La preuve : ses dossiers de presse mêlaient textes et objets, rédactionnels et curiosités, comme ce bouton à presser pour entendre le hennissement d’un cheval, dans le dossier d’un Prix de Diane à Chantilly. Mieux encore : en 1991, même si elle est encore à la presse, elle imagine une chaussure de sport pour Hermès, que Pierre Hardy va ensuite dessiner : ce sera la première basket du monde du luxe. Elle veut donc créer. Elle obtient un CAP sellerie-maroquinerie et se met à travailler le cuir, s’exercer à la couture, inventer des matériaux. Aux ateliers Hermès, à Pantin, où elle est nommée styliste, on lui donne « son » espace. C’est là qu’elle va concevoir les cuirs vibrato et dwich. Aspect mille-feuille pour le premier, relief gaufrette pour le second : la « méthode Chaillet » consiste à bousculer les codes, sortir des cadres, aller là où personne n’ose s’aventurer.

Une nouvelle signature – Nochapiq – et des performances baptisées « Road Trip »

Elle quitte Hermès au milieu des années 2000, « au bout de quinze ans de maison », pour s’essayer à d’autres choses, approcher de nouveaux univers. Elle se souvient encore de la dizaine d’entretiens qu’elle a eus avant de commencer à travailler pour L’Oréal : « Là, j’ai beaucoup appris sur les processus de fabrication. » Le produit, toujours le produit. Et le geste aussi. La main en action, guidée par l’idée, poussée par l’envie, même pour innover dans le domaine de la brosse à mascara. Aujourd’hui, à son compte, Noémie Chaillet-Piquand continue de collaborer avec Hermès à Paris ou encore L’Oréal à New York, pour du conseil, du design, « des inventions » comme elle dit. A cela s’ajoute, depuis le 14 septembre 2018 – « je sortais d’un concert de Christine and the Queens, qui a servi de déclic » -, le besoin de « faire et montrer » des créations plus personnelles. A l’instar de ce pouf, réalisé à partir de carrés Hermès coupés, découpés, taillés, déchiquetés, ou ces chaises de jardin revêtues d’un savant recyclage de morceaux de couverture de survie, foulards, vêtements, fils de cuir, ficelle, tulle, cachemire, élastiques, bandes réfléchissantes… Plus étonnant encore : elle détourne du bolduc pour emballer, enrubanner, gainer des objets du quotidien.

Couteaux, fourchettes, pipes, ciseaux, appareil photo, bracelets, prise électrique, planche à découper… tout y passe et tout se pare de rubans Dior, Chanel, Hermès, Gucci… - « achetés sur eBay » -, jusqu’à cette chaise entièrement recouverte de scotch rouge griffé Supreme. En quelques mois, la cré-artiste a ainsi habillé quelque 700 objets, tous installés dans son appartement-atelier, planqué à mi-chemin entre Normale Sup’ et le jardin du Luxembourg. Une sorte de monde parallèle, qui s’accompagne d’une nouvelle signature – Nochapiq – et de performances baptisées « Road Trip », réalisées dans les rues de New York et sur la place du Panthéon, à Paris, où ses objets, posés sur le bitume, composent de nouvelles formes, de nouveaux messages. Entre pulsion créative et urgence à prendre du recul sur contenu et contenant, corps et enveloppe, attributs statutaires, marqueurs identitaires, quotidien et (sur)consommation, cette accumulation invite à réfléchir. C’est un sujet de philo à elle seule. Et Noémie Chaillet-Piquand l’assure : « Ce n’est qu’un début. »

Nochapiq : nchailletpiquand@gmail.com

Et sur Instagram : @nochapiq