Carré VIP

societe3Paris regorge d’endroits où si personne ne vous connaît -pire : si personne ne vous reconnaît-, vous avez subitement l’impression d’être un peu le der des der, à mi-chemin entre le raté et le taré, l’homme invisible et le fantôme. C’est ce que j’ai ressenti voilà deux soirs au resto La Société, place Saint-Germain des Prés. J’avais rendez-vous avec une habituée des lieux, une personnalité, d’aucuns diraient une VIP. J’étais en avance de quelques minutes. Nous ne nous connaissions pas. Elle ne m’avait jamais vue. Il me paraissait normal de l’attendre du côté de la réception plutôt qu’à une table. La nana de l’accueil, longue, fine, tout de noir vêtue et perchée sur des talons aiguilles, me dévisage et me dit qu’elle n’a personne du nom que je cite sur son carnet de réservation. Bon. J’explique à la demoiselle que je vais patienter à la réception. Pas convaincue, la belle inconnue. Elle me regarde de travers et va chercher son « chef ». Là, un type aux cheveux rasés, dans un costume mal taillé me prend de haut : « madame, vous cherchez quelque chose ? » « J’attends plutôt quelqu’un qui ne va plus tarder ». Je vais m’asseoir dans un coin, histoire que Ken et Barbie me foutent un peu la paix. Puis, comme prévu, mon « rendez-vous » arrive : Ken se met illico au garde à vous. Tout émoustillé. Il éjecte Barbie au second plan, s’élance pour ouvrir et tenir la porte à celle qui me cherche déjà du regard. « Bonsoir Madame. Quel plaisir de vous revoir », lui dit-il. Je me lève, m’approche et dis : « en fait, c’est avec cette dame que j’ai rendez-vous ». Ken et Barbie virent au vert. La mine déconfite, Barbie s’empresse de prendre mon imper. Ken, lui, est à deux doigts tout à coup de me cirer les pompes et dérouler le tapis rouge. Edifiant. Terrifiant. Pathétique. Cynique. Ridicule. Tout ce que l’on déteste. De surcroît dans un lieu qui, autrefois, abritait un club de jazz, puis plus tard l’école de journalisme dans laquelle j’ai appris à faire un titre et un « chapo »... Un mot du dîner : l’omelette aux cèpes était correcte et facturée… 32 euros. Epoque formidable où  garde-robe et garde rapprochée font et défont une réputation.