Hasard du calendrier : c’est en pleine fashion week parisienne que Frédéric Martin-Bernard donne rendez-vous dans un micro bureau du Marais, à Paris. Les invitations, avec place en front row, aux défilés de haute couture, il en a plein ses tiroirs. Et pour cause : il a couvert la mode pour Le Figaro durant une vingtaine d’années. Aujourd’hui, il pige encore pour quelques journaux, mais il amorce surtout une nouvelle vie. Un changement de cap, avec toujours la couture en ligne de mire, la notion de hauteur aussi, puisqu’il crée, confectionne et pose des rideaux sur mesure.

« Je voulais travailler dans la mode et monter à Paris »

Lunettes rondes sur le nez, voix douce et posée, vêtu tout en gris souris, Frédéric Martin-Bernard commence à tirer le fil d’un parcours où le textile est une clé. Une récurrence. Une évidence. Originaire des Hautes-Vosges, bassin historique du linge de maison de qualité, il se souvient encore de ses cours d’EMT – éducation manuelle et technique - en classe de 6e, où il a réalisé une trousse de toilette. « Très vite, je l’ai détournée en trousse de couture, dont je me sers encore aujourd’hui », confie-t-il. Aîné de trois garçons, sa mère lui prête volontiers sa machine à coudre pour qu’il s’exerce sur des coupons de tissus, quand il ne va pas au collège. « J’essayais de me faire des vêtements sans patrons. C’était importable ! » Lorsqu’en classe de 4e, sa mère lui fournit – « enfin ! » - patrons et « vrais tissus », il se confectionne un pantalon et une chemise, pour sa rentrée en 3e. C’est décidé : il veut faire de la couture. Il enchaîne alors lycée technique, école des industries textiles à Épinal, école de style dans la capitale, le tout avec Christian Lacroix « comme modèle ». « Adolescent, je voulais travailler dans la mode et monter à Paris », raconte-t-il tout en buvant un café. Une gorgée plus tard, il poursuit : « À l’orée des années 1990, je me faisais tous mes vêtements. J’ai arrêté lorsque j’ai eu accès aux soldes presse des maisons de couture... »

« Un signe du destin »

Durant ses années d’étudiant, Frédéric Martin-Bernard gagne son argent de poche en étant prof de technologie – ex-EMT -. D’abord dans un collège du quartier de la Goutte d’Or, puis dans un autre du XVIe arrondissement. Suivront des jobs chez la créatrice belge Véronique Leroy ou encore pour la marque Infinitif. Puis, approché par la presse professionnelle, on lui demande de décoder les tendances du secteur du textile. Là, l’apprenti journaliste découvre l’interview, le reportage, le portrait, l’enquête, le stress des bouclages, les strass des soirées en ville… À 25 ans, Frédéric Martin-Bernard commence à tisser sa toile, bien avant le Web et les réseaux sociaux. Le journaliste Ghislain Loustalot lui confie sa première pige à Dépêche Mode : « Je signais sous le pseudo de Léo-Paul Mil… » Puis ce sera le magazine Up Street et une pléiade d’autres titres – L’Officiel hommes, Marie Claire, Série Limitée… -, où Frédéric Martin-Bernard chronique la mode, hommes et femmes. En 2001, durant la fashion week, il accepte de remplacer, au pied levé, une consœur du Figaro, alors en arrêt maladie. C’est le début d’une collaboration avec le quotidien national qui va durer jusqu’en 2019. Avec accès aux défilés, coulisses, ateliers et créateurs d’un univers qui se fait, se défait, se refait à chaque saison.

Mais Covid et confinements à répétition rebattent les cartes. Les piges vont, viennent, s’arrêtent, reprennent... Frédéric Martin-Bernard s’interroge, réfléchit, prend du recul sur le journalisme et la presse. Jusqu’à ce jour où, en chinant dans une brocante à Montpellier, il tombe sur des draps anciens, dont un estampillé « Toile de Gérardmer » qui porte ses initiales. « J’y ai vu un signe du destin. » Un clin d’œil au passé, aux Vosges de son enfance, à la machine à coudre de sa mère… De ces draps, il en a fait des rideaux. Des amis ont aimé, tout en se plaignant de la difficulté à trouver de beaux rideaux, bien faits, sans se ruiner chez un tapissier. Et de fil en aiguille, Frédéric Martin-Bernard va poser les bases d’un projet de reconversion, guidé par l’envie de créer et travailler avec ses mains.

« Un retour aux sources personnelles et professionnelles »

À l’issue des périodes de confinement, Frédéric Martin-Bernard peaufine son projet, termine la mise au point d’une technique, affine son sourcing, poussé jusqu’aux artisans spécialisés dans la passementerie et la ferronnerie pour la fabrication de ganses, rubans, tringles ou autres rails coulissants. « D’emblée, je ne voulais travailler que des matières naturelles – laines, lins et cotons -, tissées en France », précise-t-il. L’entrepreneur se rend au salon Première Vision et recherche des tisseurs français capables de produire des étoffes pouvant être détournées dans l’ameublement. « Je me suis inspiré des vêtements réversibles », explique-t-il.  Résultat : les finitions se retrouvent des deux côtés du tissu, la couture est gansée, le tombé impeccable. À l’instar du Drap Arbizon, en laine mérinos issue du Collectif Tricolor, tissé dans le Tarn et confectionné dans les Vosges. Frédéric Martin-Bernard y voit « un retour aux sources personnelles et professionnelles ». Avec des réflexes de journaliste dès qu’il s’agit de vérifier une information : « Quand j’ai cherché les tisseurs avec lesquels je souhaitais travailler, je suis allée les voir dans leurs ateliers, pour m’assurer qu’ils produisaient bien en France. » La marque Window a ainsi vu le jour en janvier 2022. Ses premiers clients : des particuliers, boutiques, showrooms, bureaux, mais aussi des architectes pour des projets d’établissement hôtelier, « dont un à Remiremont, dans une ancienne banque de France, où les tissus utilisés ont été tissés et imprimés dans un rayon de 30 kilomètres autour de ce futur hôtel ». Que les nuls en déco se rassurent : Window s’occupe de tout, de la prise des cotes à la pose des rideaux confectionnés sur mesure, trois à quatre semaines plus tard, en présence de Frédéric Martin-Bernard.

« J’habille des fenêtres »

Dans sa nouvelle vie, Frédéric Martin-Bernard ne voit pas le temps passer. Il enchaîne les projets, les nouveautés et le développement de sa marque est prévu dès ce printemps 2023. À 50 ans, il se dit « ravi de produire quelque chose », donner du travail à des artisans et voir la satisfaction de ses clients lorsqu’il vient poser leurs rideaux. Même s’il lorgne encore sur « un beau manteau », le fondateur de Window a pris du champ vis-à-vis des podiums, défilés, fashion shows… Sa priorité :  sa vision d’un « sur mesure accessible » pour la maison. Quand on lui demande ce qu’il fait désormais comme métier, il répond avec légèreté : « J’habille des fenêtres. »

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