Rue Cujas, Paris 5e. C’est au numéro 18, chez French Theory, que le rendez-vous est pris avec l’architecte Yann Martin. L’idée : prendre un café dans un lieu qu’il a conçu avec son confrère et complice Benjamin Clarens. Ensemble, ils ont fondé l’agence parisienne CUT architectures. Et French Theory est le premier hôtel qu’ils ont imaginé. Depuis, ils ont réalisé le Pullman Montparnasse, qui compte 956 chambres et le plus haut rooftop de la capitale, ainsi que le flambant neuf Pilo, dans les locaux de l’ancien collège Truffaut, perché sur les hauteurs du 1er arrondissement de Lyon. Papoter hôtellerie avec Yann Martin, c’est parler hôtels, hôteliers, hospitalité, matières, matériaux, volumes, design… et connexion. Connexion aux réseaux et aux autres également. Chaque projet est une aventure humaine avec le propriétaire du lieu, le gérant ou encore les équipes, qui vont s’approprier les espaces pour mieux y travailler. Car, avant de concevoir un bar, un comptoir, un ascenseur, une bagagerie… les architectes raisonnent en termes d’usage, ergonomie, pratique quotidienne, durabilité. Gain de place aussi : chez French Theory, les plus petites chambres, dédiées aux voyageurs en solitaire, ne dépassent pas les 10 m2. À l’intérieur : du maxi dans du mini. Lit, rangements, bureau de 60 cm de large, chaise compacte, enceintes, écran de télé et salle de douche : tout tient, « sans que la chambre ne ressemble à une cellule ».
Un travail d’enquêteur
Yann Martin voyage beaucoup. Pour le boulot, pour ses vacances aussi. Alors, il observe comment vivent « les autres ». Ce qu’ils mangent, où ils dorment, ce qu’ils font dans un hôtel quand ils sont loin de chez eux… Un travail d’enquêteur, de fouineur, qui nourrit les projets de CUT architectures et leur donne une identité forte. Aurélien Armagnac, propriétaire et gérant de French Theory, souhaitait ouvrir son établissement à la culture. Résultat : l’hôtel, à deux pas du Panthéon, dispose d’une bibliothèque pour travailler, bouquiner, refaire le monde avec des écrivains, d’un studio d’enregistrement avec des productions musicales réalisées in situ, d’un coffee shop où une sélection de vignerons font découvrir le meilleur de leurs crus… Ce qui incite les voyageurs à s’attarder, découvrir, goûter, partager, partir… pour mieux revenir. Yann Martin parle d’hôtel « hybride », « où l’on vient boire, manger, lire, dormir, rencontrer… Avec un lobby pensé comme une porte ouverte sur toute une constellation ».
De la « standard » jusqu'au dortoir...
Il a fallu deux ans de travaux pour concevoir Pilo et métamorphoser les 2 000 m2 d’espace disponible. Aujourd’hui, cet hôtel lyonnais accueille aussi bien le télétravailleur que le couple, la bande de copains ou une famille, dans 45 chambres, sans télé, qui vont de la « standard » au dortoir peuplé de lits-capsules. À cela s’ajoutent une cuisine partagée, une laverie, une salle de resto avec les bancs de l’ancien collège transformés, une terrasse dans l’ex-cour de récré et un comptoir XXL qui se fait buffet, table d’hôtes ou bar, selon les heures du jour et de la nuit. Une autre idée de l’hospitalité, avec des propositions adaptées à tous les profils et tous les porte-monnaie.
Table dressée au milieu des champs
Quand on lui demande quel est l’hôtel, en France, qui l’a le plus bluffé ces six derniers mois, Yann Martin répond : « Le château de la Haute Borde. » « CHB » pour les initiés. C’est quoi ça ? Un mixe entre retraite et maison d’hôtes, avec résidence d’artistes, atelier de « cueillette et cuisine sauvage » du côté de Chaumont-sur-Loire. De l’hybride, encore. Ce qui lui plait le plus dans cette adresse du Loir-et-Cher : « Les filles qui reçoivent, le travail des architectes qui ont misé sur les briques et le marbre, la table qui peut être dressée au milieu des champs, les différents chefs qui se succèdent derrière les fourneaux, le petit déjeuner où l’on retrouve sa serviette en tissu posée chaque matin à côté de la tasse, comme à la maison. » Et à l’étranger ? « Ma dernière claque a été au Shiroiya Hotel à Maebashi, au Japon. C’est une version contemporaine d’un ryokan, posée sur une colline, que l’on doit à l’architecte Sou Fujimoto, avec le soutien financier de Tanaka Hitoshi, originaire de Maebashi et fondateur de la société de lunettes Jins. On y trouve notamment une chambre entièrement conçue par le designer anglais Jasper Morrison. » On est loin des prêt-à-penser, kit-à-poser et autre copié-collé. « Parce que les comportements évoluent et les attentes aussi, conclut Yann Martin. Désormais, lorsqu’il part de chez lui, le voyageur recherche une expérience totale. »
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