© Fleur de Loire

Veste blanche à son nom et masque noir sur le visage, Covid oblige : c’est le « dress code » du moment pour le chef étoilé Christophe Hay. Deux tasses de café sont posées sur une table nappée, dans un salon avec vue sur l’église du XIIe siècle de Montlivault, village ligérien à un quart d’heure de route de Blois. La conversation peut débuter. Le sujet de prédilection du cuisinier : la Loire. Ou plutôt « sa » Loire. Le fleuve le long duquel ce natif de Vendôme a grandi, joué, fait les quatre cents coups, mais aussi pêché et amorcé ses premiers pas en cuisine. Le jour où il a décroché son brevet des collèges, il a reçu une réponse positive pour intégrer le lycée hôtelier de Blois. « J’ai ouvert l’enveloppe sur le capot de la 2CV Charleston de mon père », confie Christophe Hay. Le souvenir est vivace. Intact. Plein d’émotion. Quant à la 2CV, elle est planquée dans le garage du chef. Il s’en sert encore et la bichonne tel un trésor. « Blois m’a accueilli et c’est là que tout a commencé. Je suis passé du statut de cancre au collège, à celui de premier de la classe au lycée hôtelier », dit-il. Tout juste diplômé, il rejoint ensuite la brigade d’Éric Reithler, « mon père spirituel », dans son restaurant Au Rendez-vous des Pêcheurs, « alors seule table étoilée à Blois, au milieu des années 1990. » Une école de l’excellence et de l’exigence, qui le propulse en 2002 « chez Monsieur Paul ». Paul Bocuse, ami d’Éric Reithler, cherche un chef pour son Bistro de Paris, à Orlando. Christophe Hay accepte le challenge et quitte le Loir-et-Cher pour la Floride. Une échappée américaine de cinq ans, suivie de sept années à Paris, d’abord derrière les fourneaux de l’Hôtel de Sers, puis à superviser aussi les cuisines de l’Édouard VII et du Bel-Ami.

La Loire, dont le lit n’est que sable et galets…

S’il aime la Seine, il va revenir vers la Loire. Cette Loire sur laquelle Christophe Hay a remporté un tas de concours de pêche, quand il était ado, félicité par Jack Lang, alors maire de Blois. Cette Loire que l’Unesco a inscrite à son patrimoine mondial, au titre de ses paysages culturels vivants. Cette Loire encore dont le lit n’est que sable et galets. Si bien que l’on s’y baigne. On y croise aussi castors, aigrettes, grues, canards, oies, hérons, grèbes huppés... Le chef cuisinier parle de « fleuve sauvage, qui monte et qui descend », comme la mer. Cette passion pour la Loire le pousse en 2014 à ouvrir son propre restaurant, La Maison d’à côté, à Montlivault, avec le fleuve à deux pas. Montlivault : 1 375 habitants. Pour certains, le bout du monde. Pour Christophe Hay, l’occasion de travailler les poissons d’eau douce, disposer d’un potager, cueillir herbes et fleurs dans la nature. Résultat : quand il prépare le mulet de Loire, il le marine au coquelicot... Les inspecteurs du Michelin adorent. Le chef décroche une première étoile en 2015, une deuxième en 2018.

Vue sur la rive droite de Blois, depuis le futur Fleur de Loire... - © Fleur de Loire

« Je me sens à la fois cuisinier et paysan »

2018, une année où Christophe Hay a envie de bouger. On lui parle de Cheverny. Sa réponse : « Trop loin de la Loire… » Encore elle. Toujours elle. Un investisseur blésois lui propose alors de métamorphoser l’ancienne propriété du frère de Louis XIII, devenue hôpital, puis hospice, en hôtel 5 étoiles avec table gastronomique, pâtisserie et spa. Le tout sur la rive gauche de Blois, le long des berges de la Loire, face au château royal. « Dans le mot hospice, j’ai vu le mot hospitalité », raconte Christophe Hay. Alors il dit banco pour ce « projet d’une vie », dans lequel il s’apprête à embarquer une équipe de quatre-vingts personnes à partir de juin 2022. Fleur de Loire : c’est le nom choisi pour le futur établissement de 5 000 m2, qui comptera une quarantaine de chambres. Un défi qui ne donne pas la grosse tête au chef. Il garde les pieds sur terre et sur son territoire. « Je me sens à la fois cuisinier et paysan », explique ce fils de boucher, dont la famille possédait une ferme dans le nord du Loir-et-Cher.

Un boeuf Wagyu vu par la photographe Julie Limont.

« Paysan », parce qu’il a fait l’acquisition, en 2018, d’un cheptel d’une soixantaine de bœufs Wagyu, l’une des meilleures viandes au monde. « Paysan » aussi parce qu’il va disposer d’un potager d’un hectare et demi à 500 mètres de Fleur de Loire, en plein centre de Blois, où il va cultiver fruits et légumes, mais aussi développer un conservatoire de l’asperge et un autre dédié à la pomme. « Paysan », enfin, lorsqu’il parle de permaculture, « terre fertile » et « sols vivants ». « Mes meilleurs associés, dit-il, ce sont les petits vers et les lombrics. » À cela s’ajoute, bien sûr, ses équipes et les nombreux fournisseurs et producteurs locaux, dont Sylvain Arnoult, qui pêche silures, brochets, carpes ou anguilles, dans une barque sur la Loire. Quand on lui parle d’engagement, Christophe Hay acquiesce. Et ce d’autant que son implication va au-delà du « bien manger » au restaurant. Le chef étoilé participe à des actions dans les cantines scolaires. Il soutient également les Restos du Cœur et la Ligue contre le cancer. « Mon père est mort de cette maladie. J’ai arrêté de travailler pour l’accompagner durant sa dernière année. » C’était en 2007, à son retour de Floride. Un épisode longtemps passé sous silence. Aujourd’hui, il ne le cache plus. En parler libère. En parler fait avancer. Quitte à se détourner des voies toutes tracées, pour mieux retrouver ses racines et son terroir d’origine.  Ce que Christophe Hay a fait en quittant Paris pour un retour aux sources et à sa vie de Ligérien.

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Fleur de Loire, dont l'ouverture est prévue en juin 2022 - © Fleur de Loire