On le repère assez vite sur le parking de la gare de Nevers. Car Clément Boutillon se déplace en Berlingo bleu. C’est son véhicule utilitaire depuis qu’il a quitté Paris pour retrouver sa terre natale. Sur la route, il passe devant le Palais ducal, le théâtre, la cathédrale… il est chez lui, ici. Il y a grandi. C’est d’ailleurs dans un lycée neversois qu’une conseillère d’orientation lui a dit : « Tu seras designer… » « Parce que j’étais bon en dessin », explique-t-il. Suffisamment « bon », en effet, pour passer, ric-rac, un bac STI Arts appliqués à Marzy, puis intégrer l’Ensaama* Olivier de Serres à Paris. Plutôt solitaire, à l’époque Clément Boutillon réalisait beaucoup de maquettes, « dont celle d’un violoncelle en papier », se souvient-il. Il participait aussi à des tas de concours à l’étranger. Il postulait, ça marchait, pas à tous les coups, mais c’était un fabuleux terrain de jeux et d’entraînement. « Une fois, dit-il, j’ai gagné 300 dollars… » A l’Ensaama, il étudie le design produit et fait partie de ceux qui passent un max de temps dans l’atelier. Parce qu’il aime toucher, manipuler, tester, expérimenter. L’achat de son imprimante 3D, c’était avec sa première paie. « Je suis un explorateur », confie-t-il. Et ce, aussi bien lorsqu’il dessine, essaie un matériau, en découvre un autre, que lorsqu’il part à l’assaut de la montagne avec sa frontale. Il aime l’aventure. D’ailleurs, comme sa mère à 20 ans, il a repoussé ses limites au même âge : elle, c’était en ralliant Paris à Jérusalem à cheval ; lui, c’était en faisant le tour du Mont Blanc à pied, un sac de 18 kilos sur le dos, avant de rejoindre la Croatie en stop et en bus. Même son projet de diplôme à l’Ensaama sent bon l’ailleurs : « C’était une barque faite pour partir plonger, sur laquelle on pouvait passer la journée. »

Scéno, expo et rayon « montagne » chez Décathlon

Une fois diplômé, Clément Boutillon reste à Paris. Assistant designer chez Noé Duchaufour-Lawrance, il rejoint ensuite les équipes de Servaire & Co, puis de Blue Factory, où il participe à la création de parfums, spiritueux, boutiques… C’est chez le designer et artiste Kossi Aguessy qu’il a le plus de marge de manœuvre. Là, pendant deux ans, il dessine des objets, travaille à la scéno d’une expo au Carreau du Temple, collabore avec la maison Charles, crée des pièces destinées à des événements new-yorkais… Cette période va servir de déclic. A la mort de Kossi Aguessy en 2017, Clément Boutillon s’installe en solo. Il dessine et fabrique ses propres pièces, développe ses collections de céramiques, amorce des partenariats avec des artisans. Peu à peu, il projette de quitter Paris pour les Alpes. Mais le Covid et des finances à la baisse le contraignent de s’arrêter à Nevers. C’est donc là qu’il pose ses bagages à l’automne 2020. Avec un job d’appoint, ancien rêve de gosse, pour faire la soudure entre deux villes et deux vies : « Pendant trois mois, j’ai été vendeur chez Décathlon, au rayon… montagne. »

Geste, outil, esquisse et objet « intelligent »

« Je suis ici 70 heures par semaine. » « Ici », c’est l’atelier-boutique que Clément Boutillon vient d’ouvrir, à deux pas du Palais ducal. Pas de rideaux, ni de volets fermés. Les curieux peuvent l’observer de l’extérieur, ça ne le dérange pas. Au contraire. L’idée de montrer un geste, un outil, une esquisse en cours, tout ça lui plaît. Il aime partager, transmettre, expliquer, raconter l’histoire d’un objet. Car celle-ci est toujours en lien avec un voyage lointain, une échappée en montagne, une rencontre… A cela s’ajoute le choix d’une matière, d’une couleur et surtout le travail de la forme : parfois, le dessin d’une pièce s’étire sur plusieurs mois. C’était le cas pour sa théière, circulaire, avec bec plat, poignée légèrement galbée et filtre en céramique « afin d’éviter l’achat d’accessoire importé ». Quant à la Méduse, une lampe à poser tout en faïence immaculée, elle a nécessité trois années de réflexion et la fabrication d’un four XXL pour réussir l’émaillage. Plus expérimental encore : le projet de bougeoir qui se transforme en vase. Un objet « intelligent », comme dit le designer, sur lequel il continue de plancher pour affiner l’évidence dans le double usage. Sa quête : la perfection. Il a le souci du détail du début jusqu’à la fin d’une création. Si bien qu’il fabrique ses propres moules et réalise le shooting de ses pièces terminées avec son Leica. A Nevers, il a déjà noué des liens avec la faïencerie Georges, une institution couleur locale. Il souhaite faire de même avec François Pouenat, cinquième génération d’une famille de ferronniers. Mais Clément Boutillon ne perd pas de vue Paris. La gare de Bercy n’est qu’à deux heures d’Intercités. Son prochain défi : se faire repérer par une galerie de la capitale.

L'univers de Clément Boutillon est aussi ICI.

*École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d'art