Le jour, il est fleuriste près du Père Lachaise. Le soir venu, il enfile la panoplie de Lady Carbone : fards, faux cils, paillettes, chapeau, robe taille 36 et talons de 18 cm. « Je ne dors que quatre heures par nuit », confie celui à qui il est déjà arrivé de faire ses emplettes à Rungis, tôt le matin, en tenue de scène : « Je sortais d’un show. Je n’avais pas eu le temps de me changer… » Un soir par mois, Lady Carbone fait office de Monsieur Loyal à l’hôtel Nolinski, avenue de l’Opéra. Ce soir-là, c’est soirée Cabaret.

Doubles vies, ex-cosplay, Zelda et bigoudis roses

Dans un salon transformé en boudoir, avec éclairages bleutés, fumée, tables basses, canapés, ils sont plusieurs à se succéder sur une scène créée pour l’occasion. Ils se font appeler Froufrou d’Absinthe, Athena’Ttention, Luna Victoria Jade, Kahramana Kha ou encore Scarlett Diamond. Tous ont des doubles vies et des parcours qui sortent de l’ordinaire. Scarlett, l’effeuilleuse, est passée par une fac d’histoire de l’art et affiche huit ans de danse classique au compteur. Athena, ex-cosplay qui se complaît désormais dans le burlesque et sait « rouler des fesses », a un BTS de com’ visuelle, bosse comme community manager, vit avec trois ordinateurs et trente-huit paires de chaussures « tongs comprises ». Accro aux jeux vidéo, quand le dernier Zelda est sorti, « je suis restée de 11h du matin à 4h, le lendemain matin, devant la console », dit-elle, des bigoudis roses sur la tête. Car la troupe se prépare dans une suite du Nolinski.

Rangs de perles, mini-jupe, Crazy Horse et Bruce Lee

« Je suis le fils de Sammy Davis Jr et Liza Minnelli, qui aurait été adopté par Joséphine Baker ! » C’est comme ça que Brian Scott Bagley se présente. C’est le seul de cette bande à part, qui a gardé son vrai nom. Né aux Etats-Unis, où il a fréquenté les meilleures écoles de danse, il s’est fait repérer par Jérôme Savary au milieu des années 2000, lorsque celui-ci montait son spectacle en hommage à Joséphine Baker. Brian découvre alors Paris, le burlesque et l’étroitesse des appartements de la capitale : « Je suis obligé d’avoir un lieu de stockage pour tous mes costumes », explique-t-il, tout en se parant de perles et préparant une mini-jupe confectionnée à partir de bananes en tissus. « La danse, c’est venu sur le tard, poursuit celui qui s’affiche également sur la scène du Crazy Horse. Gamin, je voulais devenir maître en arts martiaux, comme Bruce Lee ».

Dita von Teese, « show rétro » et « plumes partout »

« Je m’inspire de l’art pour mes chorégraphies, coiffures, maquillages et toutes mes tenues, que je dessine moi-même. Ensuite, je vais chez une costumière. » Scarlett Diamond se dit fan de Dita von Teese et du « show rétro ». « Chez moi, il y a des plumes partout ! » Et ses costumes de scène occupent deux grandes valises. Athena’Ttention, elle, évoque une vingtaine de boîtes empilées, vingt-sept perruques et trois penderies, où se côtoient cape de fourrure et cornes de déesse viking : « Toutes mes vies tiennent dans 30 m2 ! » Puis, c’est au tour de Kahramana Kha, la geisha, de se maquiller, s’habiller et s’apprêter à manier des torches enflammées. « Le feu, ça m’impressionne, reconnaît l’ancienne étudiante en médecine. Le mouvement des flammes, c’est comme une danse. » Quand on lui demande si elle regrette d’avoir préféré le show à la santé publique, elle répond : « Aujourd’hui, j’exerce une médecine plus spirituelle. Je guéris les gens psychologiquement. »

Platform shoes, militant LGBT et décalage immédiat

« J’ai pris l’habitude : il ne me faut plus qu’une heure et demi pour me maquiller. » Lady Carbone connaît la musique. « J’ai installé mon vestiaire dans ma cave et un styliste me fait toutes mes tenues de scène. » Quand à ses platform shoes, pointure 43, le militant LGBT les dégote « à Pigalle, chez les prostituées ». C’est l’heure. Ils vont tous se succéder dans le salon du Nolinski, sous l’œil attentif et complice du directeur de l’hôtel, Emmanuel Sauvage. Au programme, rien de vulgaire, ni de racoleur. Juste un moment de déconnexion, un décalage immédiat, pour s’échapper du quotidien et se laisser bluffer par des artistes sortis d’une autre dimension. Avec mention spéciale à Thibaud : le jeune barman du Nolinski réussit fort bien le Negroni.

Prochaines soirées Cabaret au Nolinski (avec l’agence Carbone de Nuit) les 10 novembre et 8 décembre. Réservation au : 01 42 86 10 10