Il vient de garer son scooter en bas de chez lui, à deux pas de l’avenue Foch. Karl Petit a encore son casque sur la tête. « Désolé, je suis en retard, le déjeuner s’est prolongé. » Un déjeuner chez le chef étoilé Alain Passard : normal que ça dure plus longtemps qu’ailleurs… Il s’excuse à nouveau : « A la maison, il y a encore des cartons, car nous venons d’emménager. » « Nous », c’est Sidonie Ory, dont il partage la vie, cinq enfants à eux deux – mariages et remariages obligent -, deux chiens, un chat.

Perles, diamants, chauffeur et Chappy

Sa vie est un roman. « Certains pensent que je suis mytho », reconnaît Karl Petit… de Julesville. Il ne renie pas la particule familiale, mais elle n’apparaît pas sur sa carte de visite. Une famille au sein de laquelle il évoque un grand-père « collectionneur de perles et diamants, qui n’a jamais travaillé », un père « qui a fait partie des créateurs de La Défense », une mère banquière. Gamin, il se sentait déjà différent. Il ne voulait pas s’habiller comme les autres. Quand il faisait ses premières heures d’Optimist, c’était sur le lac d’Enghien. Et puis la danse classique a occupé bon nombre de ses mercredi et samedi : « mon père avait fait aménager un salon de 120 m2 dans notre maison de campagne, pour que je répète. » Mais une chute de cheval à l’âge de 17 ans - « l’année du bac de Français » - met fin à la fois au port des chaussons de danse et à celui des tenues équestres. « Pendant ma convalescence, je ne pouvais plus aller au lycée en Chappy. C’était le chauffeur de mon père qui m’accompagnait. » Ses copains le regardent alors différemment. Car, ado, il ne dit rien ou très peu du train de vie familial. « J’ai beaucoup voyagé avec mes parents. Pour les vacances, on partait à Saint Barth quand personne n’y allait. Je n’en parlais pas, car peu de mes amis savaient situer l’île sur une carte… »

« J’ai eu Achille Castiglioni comme prof »

Il voulait être joaillier, « mais je n’ai pas eu le courage ». En classe de 3e, on lui repère un don pour le dessin. « A 15 ans, j’ai réussi le concours d’entrée à l’école Boulle. » Finalement, il n’ira pas. Retour au lycée pour décrocher son bac. Puis il intègre les Beaux-Arts « Paris la Seine », en architecture. Pour échapper à un premier mariage, survenu trop jeune ou trop vite, il s’envole vers Milan, où il est reçu à l’Ecole Politecnico : « J’ai eu Achille Castiglioni comme prof », dit-il avec fierté. Quand il raconte sa vie en Italie, c’est un remake de La dolce vita : il anime une émission musicale à la télé, il est de tous les backstages aux défilés de mode, il croise une mannequin dans une soirée, lui offre une bague de fiançailles au prix d’un appartement et vit avec elle pendant treize ans. D’abord en Afrique, où il passe deux années au sein de la direction de l’équipement et de l’urbanisme en outre-mer. Puis, à Paris. Sa ville : « J’y suis né », insiste-t-il. De retour en France, il va cumuler les casquettes d’architecte, architecte d’intérieur, designer, scénographe… aussi bien pour le siège de Renault que pour la marque asics, Total, des hôtels, des restaurants, des particuliers et quelques « très » particuliers tel que le couple Bruni-Sarkozy pour leur appartement présidentiel. La prouesse dont il se souvient encore : « La réalisation d’une salle de bains éphémère avec vue sur le jardin de l’Elysée. »

Get 31, Bottin mondain et fête foraine

A l’heure du thé, il se sert un Get 31. Installé au milieu de ses bouquins, où le Bottin mondain côtoie un menu vintage du Café de Flore, un beau livre sur la maison Pierre Frey ou un autre sur Saint Laurent, Karl Petit se dit curieux de tout et de tous : « J’aime l’être humain. » Quant à ceux qui le taxent de snob, il ne les écoute pas. Il en rit même. « Ma vie est une fête foraine », s’amuse à répéter celui qui a vécu « sans un rond » et lu « pour la première fois » ses relevés de compte en banque lorsque sa deuxième femme l’a quitté. Sa devise aujourd’hui : « Etre sérieux sans se prendre au sérieux. » Ses priorités : « Mon job et ma nouvelle vie de famille. »