Sur le quai de la gare de Saint-Maixent-l'École – à 1h40 de TGV de Montparnasse -, on marche au milieu des herbes folles. Stilettos à éviter donc, surtout les jours de pluie. Bienvenue dans les Deux-Sèvres, quelque part entre Niort et Poitiers. Ici, en été, ça sent bon les vacances dans les maisons de familles. D’ailleurs beaucoup de voyageurs descendent, chargés de valises, sacs, paquets… Sur le mini parking, Henri Danzin et Charles de Dainville sont sur le départ, dans une voiture tout terrain, habituée à sillonner la campagne environnante. Direction Trémont, un lieu-dit de cinq maisons sur la commune de La Mothe-Saint-Héray. C’est là que ces deux Parisiens s’enferment régulièrement dans une grange – « le cœur du réacteur » -, sept jours non stop, avec un artisan ébéniste et un designer, pour concevoir, tous ensemble, trois pièces de mobilier prêtes à être prototypées. Un « design sprint » aux allures de Loft Story. Car les participants vivent et dorment sur place durant toute la semaine. Une cohabitation rythmée par des repas couleur locale, sur une longue table en bois patiné, avec vue sur la nature. Une résidence de créateurs, où le bois massif 100% français – issu de forêts gérées durablement - sert de matière première. Manifeste ou acte de résistance ? Un peu des deux. Et ce « faire » en circuit court, sans concession, ni compromission, a déjà donné vie à un banc, une table, un tabouret. Des pièces à découvrir le 7 septembre 2023, durant Paris Design Week (1).

Les années Arts déco…

© Fabienne Delafraye

Tout a commencé au milieu des années 1990, dans une prépa pour intégrer les Arts déco. C’est là qu’Henri Danzin et Charles de Dainville se sont rencontrés. Le premier, issu d’une famille de juristes et de polytechniciens, aime dessiner, sculpter, bricoler. Il sort d’une année à glandouiller en histoire de l’art à Nanterre. Le second, passé par l’Institut Notre-Dame de Saint-Germain-en-Laye, a eu le déclic pour devenir designer en refaisant le monde avec une conseillère d’orientation et lors d’un stage d’observation au sein de l’agence Tonnerre de Brest. Le duo intègre les Arts déco l’année suivante. École où ils apprennent beaucoup. École où ils auraient fait les quatre cents coups… À l’orée des années 2000, ils se perdent de vue. Henri Danzin co-fonde Oyez, une agence digitale spécialisée dans les stratégies omnicanales et la digitalisation du point de vente. Charles de Dainville se fait une place dans la déco pour le cinéma, avant de dessiner des boutiques, des restaurants, du mobilier, des contenants pour cosmétiques… Hasard d’un Paris parfois « tout petit », à la fin des années 2000 ils ont des bureaux voisins dans le 10e arrondissement. Ils prennent alors l’habitude de déjeuner ensemble une fois par semaine et amorcent quelques « collab’ ». En 2018, ils réfléchissent chacun à une autre façon de travailler et entreprendre. Ce qui les pousse à quitter la capitale. Charles de Dainville s’installe à La Rochelle. Henri Danzin, sous l’influence de Marie Bracco - une copine des Arts déco originaire des Deux-Sèvres et devenue sa compagne -, pose ses bagages en 2020 dans une grande maison avec grange et terrain, à Trémont. Une heure de route seulement sépare Charles de Dainville d’Henri Danzin. Ils veulent bosser ensemble et ça commence à cogiter des deux côtés.

Une boîte pleine de bon sens

Surtout ne pas faire comme les autres. Surtout ne pas créer l’assise, la table ou le canapé de plus. Et surtout ne pas fonctionner comme des Parisiens en exil, paumés sans le Haut Marais et le quai de Valmy… Henri Danzin opte d’emblée pour une opération immersion : « Je voulais voir et savoir comment fonctionne l’entrepreneuriat en province. » Il rejoint alors le groupe Socoda, pour lequel il va sillonner la France en tant que directeur marketing et digital business. « L’école du terrain, c’est la seule à laquelle je crois », confie-t-il. Puis, en 2022, le duo s’accorde : Henri Danzin et Charles de Dainville créent JAUH – prononcer jo -, qui signifie « coq » en patois poitevin. « Un clin d’œil au coq gaulois, emblème de la France », souligne Marie Bracco, désormais directrice artistique de JAUH. JAUH, c’est une boîte pleine de bon sens, où la filière bois est mise en avant, où les artisans sollicités travaillent à proximité – à l’instar de Dominiqiue Sauvin, maître artisan ébéniste à Courlay -, où le geste et le savoir-faire servent de repères, où le « design sprint » fait gagner du temps à tous. Y compris au designer « casté ». Le premier sélectionné étant Guillaume Colas, installé à Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Mais l’idée, c’est aussi d’attirer des étudiants en fin de cursus d’école de design ou des stars de la discipline, prêtes à s’enfermer une semaine dans une grange, avec des inconnus, pour penser, dessiner, concevoir du beau et de l’utile. À terme, Henri Danzin rêve de voir « la grange » se dupliquer ailleurs en France ou à l’international, tel un outil, un mode opératoire et surtout un écosystème qui ferait des petits.

Pâté en croûte, blanquette et tête de veau sauce gribiche

Pour l’heure, JAUH, « maison d’édition de mobilier artisanal contemporain », propose une collection par an, de six à neuf pièces « à durée de commercialisation limitée ». C’est donc de la micro-série – de 10 à 300 exemplaires par modèle -, « avec une production alignée sur les capacités et la culture des petites entreprises artisanales avec lesquelles nous collaborons », détaille Charles de Dainville. Autrement dit : JAUH ne produit que ce qui est nécessaire. En septembre 2023, Paris Design Week sera l’occasion de découvrir les banc, table et tabouret finalisés. Suivront en novembre, un fauteuil, un lampadaire, une table d’appoint. Des pièces de mobilier qui témoignent d’un processus de création hors des sentiers battus, durant lequel artisans et designers ont partagé savoir et savoir-faire, mais aussi pâté en croûte, blanquette, tête de veau sauce gribiche, fromage en provenance de La Mothe-Saint-Héray… Vegan et « sans gluten » s’abstenir. « À table, on ne parlait pas boulot, mais Noir Désir et Hellfest », se souvient Charles de Dainville. Et pour cause : les deux copains des Arts déco sont fans de musique. Si bien qu’un studio d’enregistrement jouxte la grange, pour accueillir d’autres profils de lofteurs, prêts à s’emparer d’une guitare, s’installer au piano, jouer, mixer, en sept jours chrono. À Saint-Maixent-l'École, on surnomme déjà les deux « D » - Danzin et Dainville -, « les originaux ». Histoire d’aller se faire voir un peu ailleurs, ces dingos du design « monteront » donc à Paris à la rentrée. Même si, disent-ils, « ce n’est plus qu’à Paris que ça se passe ».

  • (1) À l’occasion de Paris Design Week, Henri Danzin et Charles de Dainville seront le 7 septembre 2023, de 14h à 18h, sur l’événement Expressive Itinérance Design : Electric Paris, 128 rue Lafayette, Paris 10e
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