Arriver à destination fait partie de la déconnexion. Car, il n’y en a pas des masses des vols Paris-Castres. Un aux aurores, un autre le soir. Faut pas les rater. Et dans l’avion, on n’est pas nombreux. On s’est tous déjà repérés, plus ou moins, dans la salle d’attente d’Orly 3. À l’atterrissage, un brin venté, mouvementé, on se saluerait presque en quittant le tarmac, à pied. Puis, il faut faire un peu de route à travers la campagne. Le début du beau. Du très beau. Et surtout l’amorce du silence. Pas ou peu de maisons, pas ou peu de voitures, pas ou peu de boutiques. Le premier distributeur d’argent est à dix minutes en voiture. Bienvenue à la Villa Pinewood, au bout du chemin du Nègre, à Payrin-Augmontel, 2 191 habitants au dernier recensement… C’est ici, dans le Tarn où ils sont nés, qu’Anne et Thomas Cabrol se sont installés, en pleine nature, entre Causse et Montagne Noire. C’était à l’orée de l’année 2020. L’ancienne infirmière et le diplômé en sciences agronomiques avaient envie d’autre chose. Ils venaient de se séparer de leur bar à vins à Toulouse. Un établissement élu, trois années de suite, « Meilleur bar à vins du monde » par le magazine Wine Spectator. Un record.

La cueillette sauvage de quelque 150 plantes et fleurs

Ce qui les a réunis : leur passion commune pour l’œnologie. D’où le bar à Toulouse. À Payrin, c’est une autre affaire. Une autre histoire. D’abord parce qu’ils sont « au milieu de nulle part », diraient certains. Mais aussi parce qu’ils ont créé une table où la cueillette du matin guide le menu du soir et ses accords mets-vins. Le duo cultive l’art du circuit ultra court. Le fil rouge de la cuisine : « Ce sont les produits que je trouve autour de la maison », confie Thomas Cabrol, aux fourneaux de la Villa Pinewood. Il privilégie ainsi la cueillette sauvage de quelque 150 plantes et fleurs environnantes, mais aussi de fruits et légumes, avec la complicité d’un botaniste, d’une cueilleuse et d’un mycologue. « Ici, on trouve des champignons neuf mois par an. Au gré des saisons, on ramasse des giroles, des cèpes d’été jusqu’en novembre, puis des chanterelles, pieds de mouton et truffes », détaille le cuisinier autodidacte. À cela s’ajoute un artisan qui pêche de l’omble rien que pour Anne et Thomas Cabrol, avec une méthode japonaise qui évite aux poissons de souffrir. Le fournisseur le plus éloigné ? Il est installé au milieu du département, à une cinquantaine de kilomètres : il s’agit du producteur de viande. Quant au pain, il est « 100% fait maison » avec du barbu de Lacaune, un blé ancien tarnais, et un levain dans lequel un verre de Château d’Yquem est versé chaque semaine, « pour lui donner du tonus ». Si dans la cave de leur bar à vins toulousain, ils comptaient quelque 4 000 références, dans celle de la Villa Pinewood, ils n’en recensent plus que 1 000. Une sélection resserrée, supervisée par Anne Cabrol. La sommelière, c’est elle. Sa mission : coller au plus près des saveurs concoctées en cuisine. Sa passion : dénicher quelques trésors chez de petits producteurs français, sans pour autant négliger le reste du monde qui représente aujourd’hui un quart de sa cave.

14 convives pour un spectacle en une quinzaine de séquences

Le travail est minutieux, précis, exquis. Anne et Thomas Cabrol le partagent quatre soirs par semaine, le temps d’un dîner pour 14 convives - qui ne se connaissent pas tous -, installés le long d’un comptoir, en granit et bois locaux, ouvert sur la cuisine et le cellier, car tout est préparé « minute ». Le spectacle commence à 19h30 pile. Tel un rituel. Pour une pièce en une quinzaine de séquences. Alors, oui, ça peut durer près de quatre heures… D’où les trois chambres d’hôtes disponibles dans le domaine. Avec cette logique : « Quand on réserve une chambre, on réserve sa place à table, le soir. » Et ce, pour un dîner plus que parfait. Mises en bouche, « grignoteries », mets liés à des lieux... tout raconte le Tarn. À l’instar de la truffe du Causse, l’asperge des bois, l’omble de la Montagne Noire ou encore le pigeon du Mont Royal, célèbre élevage couleur locale. Le tout subtilement relevé par une réglisse sauvage, des racines d’apiacées, une huile de feuilles de caprifiguier, un lard de cochon laineux… Le plat phare du chef : le « tapis végétal aux 24 saveurs ». Ce bouillon d’ombellifères, qui incarne l’art de la cueillette sauvage, est proposé dans le menu juste avant les protéines. Quant aux desserts, ils s’intitulent Reine des prés, pour une crème d’ulmaire, Pimpinelle & hespéridés, pour une mousse à la pimpinelle anisée et cœur d’agrumes, ou encore Pic de Nore, pour une ganache au sapin baumier avec notes de fruits rouges, dôme au wisky Black Mountain et poussière d’or aux morilles. Le tout accompagné d’un choix entre un, trois ou cinq verres de vins, tous en parfait accord avec l'assiette. À raison d’une assiette par recette, avec des formes de contenant qui épousent chaque contenu. Car les arts de la table ne sont pas oubliés. Certes le comptoir n’est pas nappé, mais chaque convive dispose d’un rond de serviette en pin, d’un porte-couverts, de verres soufflés, de fourchettes en argent dépareillées, car chinées chez des antiquaires, et d’un couteau façonné par l’artisan d’art Nicolas Escande. Les mots de la fin pour les restes, lorsqu’il y en a : ils sont offerts, avec les déchets de la cuisine, à Chantal, Claudette, Paulette et Gisèle, les quatre poules du domaine.

La Villa Pinewood est aussi ICI.