L’exercice était audacieux. Il avait aussi du chic et du panache. Il a consisté à relire les grands classiques du XIXe et à s’intéresser à la façon dont ils abordent et décrivent déco et décors. Une leçon d’art de vivre, où l’on se replonge dans les œuvres de Balzac, Hugo, Zola ou encore Maupassant, en se focalisant sur leur approche des tissus, motifs, coloris, pièces de mobilier, objets de toutes les curiosités… Un travail de fourmi et des recherches de passionnées. À savoir celles de Sophie Rouart et Anne Sudre. La première chapeaute le patrimoine de la maison Pierre Frey. La seconde, l’unité de la conservation de la maison de Chateaubriand. Le duo a fouiné, chiné, déniché et bâti une exposition intitulée Étoffes & littérature, à voir jusqu’au 24 juillet 2022 au Domaine départemental de la Vallée-aux-Loups, à Châtenay-Malabry : là, où vivait Chateaubriand. Un événement, sans précédent, soutenu par la BnF, le Musée de la Toile de Jouy, le Musée des Arts décoratifs et la maison Pierre Frey, habituée du lieu. En 2019 et 2020, celle-ci a en effet restauré les chambres Récamier et Chateaubriand, avec des papiers peints de ses collections Braquenié.

Mode et déco se fondent et se confondent

« En tant que PME française, c’est notre rôle de transmettre. » Patrick Frey, président et directeur artistique de Pierre Frey, a ainsi prêté une quarantaine de documents et tissus pour les besoins de l’expo. « On va pouvoir les toucher », souligne-t-il. C’est l’un des points forts du travail du duo Rouart-Sudre : au gré des chambres et salons que l’on traverse dans la demeure de Chateaubriand, des pans de matières, premières, soyeuses, lumineuses, guident et rythment la visite. Une visite où les étoffes invitent à poser un autre regard, par exemple sur le jardin d’hiver, paré de tapis, dans Bel-Ami de Maupassant. Dans Pierre et Jean, l’écrivain fait aussi la part belle à une tenture en cretonne de Rouen, « qui imitait la vieille toile normande ». Car au XIXe, on couvre, on recouvre, tout ce qui peut l’être. À commencer par les sols. Par ailleurs, on cache la cheville des femmes avec des robes longues, comme on dissimule les pieds de chaises avec des tissus. Mode et déco se fondent et se confondent. Puis l’expo évoque également Gervaise, la blanchisseuse de L’Assommoir signé Zola, sans oublier les rayons des grands magasins que l’écrivain dépeint dans Au bonheur des dames. Chacun nourrit ses récits de descriptions d’intérieurs et autres tissus d’ameublement. Des détails qui témoignent d’une époque, d’un contexte social et du rang tenu par chaque personnage. Ainsi, celui qui opte pour le papier peint contraste avec l’adepte des soieries. Et pas question d’inviter à s’asseoir sur une chaise en paille, une femme qui porte une robe en velours…

Balzac envoyait ses factures à ses maîtresses…

L’expo compte une centaine d’œuvres originales du XIXe, dont un pastel prêté par le musée d’Orsay. Ce qui permet une immersion immédiate dans un dialogue inédit entre littérature et textiles décoratifs. Des tissus imprimés ou brodés, destinés aux tentures murales, rideaux, écrans de cheminée, canapés, coussins, lits, tapis. L’occasion aussi de découvrir de nouvelles facettes des romanciers du XIXe. Sophie Rouart et Anne Sudre parlent d’« écrivains décorateurs ». À l’instar de la relation entre Chateaubriand et les étoffes : « Il ne s’y intéressait pas vraiment, mais pour les différentes ambassades où il a vécu, il ne ménageait ni son art de recevoir, ni celui de décorer », raconte Anne Sudre. On rencontre aussi un Balzac « panier percé », qui vivait à crédit et envoyait ses factures de déco à ses maîtresses… Hugo, « le paysagiste », faisait entrer la nature dans sa maison de Guernesey et raffolait des tissus aux murs, ainsi que sur les sols et plafonds. Quant à George Sand, couturière chevronnée, elle ne rechignait pas à la tâche : rideaux, coussins, dessus de lit… elle faisait tout « maison ». Les co-commissaires comparent, enfin, Zola à « un bibelotier », car il accumulait un véritable bric à brac dans sa maison de Médan, dans les Yvelines. Dans son bureau de travail, une cheminée Renaissance côtoyait une table néo-classique, des céramiques et vitraux, ainsi qu’une multitude d’objets commandés sur des catalogues de grands magasins.

Bouffée d’air et prise de recul

Plus qu’une simple balade, cette expo est un cours d’histoire, d’histoire de l’art, de mode, de littérature, bref de culture générale. Un cours illustré, incarné et donc plus vivant qu’au lycée ou à la fac. C’est aussi une bouffée d’air et une prise de recul sur la crise, la fin de l’hiver et le stress propre à Paris. Le jardin de la maison de Chateaubriand incite à la flânerie, à la rêverie. Tout comme l’arboretum tout proche et classé à l’Inventaire des sites pittoresques. Ce parc abrite une collection de plus de 500 espèces d’arbres et arbustes répartis sur quelque 12,7 hectares. L’expo et la virée au vert, à neuf stations de RER de Denfert-Rochereau : un très bon plan au moindre rayon de soleil.

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Domaine départemental de la Vallée-aux-Loups, Maison de Chateaubriand : 87 rue de Chateaubriand, 92290 Châtenay-Malabry. Tél : 01 55 52 13 00. Du mardi au dimanche et les jours fériés. Accès avec le RER B (Robinson). Plus d’info ICI.

Et aussi : catalogue de l’exposition « Étoffes & littérature », par Sophie Rouart et Anne Sudre – Silvana Editoriale – 144 pages – 22€