La lumière d’automne entre dans l’atelier par de grandes fenêtres qui s’ouvrent sur Ivry. La table de travail est recouverte d’une plaque de découpe, parée d’un quadrillage vert bouteille. Les murs sont peuplés de notes, essais, images, papiers… Des cadres sont rangés, alignés, classés. Il y a du café chaud. C’est ici que travaille Antonin Anzil. À deux pas du métro « Pierre et Marie Curie ». Artiste ou artisan, il hésite entre les deux, quand on lui demande ce qu’il fait dans la vie. « En général, je dis que je suis un artiste plasticien qui fait des bas-reliefs sur papier… » Habile, agile, d’une grande dextérité, il a en effet inventé un procédé de gravure et sculpture sur papier. Un papier Velin d’Arches, qu’il humidifie, puis pique, gratte, soulève, forme, transforme, le tout à la pointe sèche. « La même pointe qui sert à graver le métal ou le plexi », explique-t-il. Ses premières tentatives remontent à ses années d’étudiant. Aujourd’hui, ses papiers gravés sont sa signature.

© Nathalie Baetens

Embauché avant d’être diplômé…

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D’emblée, le terrain était favorable. D’abord, avec un père graphiste, passé par les Beaux-Arts. Ensuite, avec des cours de dessin, de l’école primaire jusqu’au lycée, aux côtés d’un graveur à la pointe sèche. Ça, c’était à Niort. La suite : un cursus d’histoire de l’art et un diplôme de l’École européenne supérieure de l’image, à Poitiers, avant d’intégrer l’École nationale supérieure des Arts décoratifs, à Paris. « C’est en marge de mes cours aux Arts déco que j’ai inventé cette technique des bas-reliefs sur papier », confie Antonin Anzil. Une curiosité artistique qu’il va présenter et défendre face à ses profs, un brin réservés sur le moment. Mais il en faut plus pour déstabiliser l’étudiant, plutôt brillant. En stage au studio de créations parfumées de Maison Francis Kurkdjian, il est embauché avant même de terminer les Arts déco. Son diplôme, il le décroche en 2012, avec un mémoire sur « le rapport entre art et odeur ». Puis, il rejoint le service « développement produits » chez Francis Kurkdjian : « Tout ce qui était imprimé passait par moi. » Il va rester jusqu’en 2017 dans cette école de la rigueur, qui lui donne, en prime, tous les codes du luxe. Il ne chôme pas. Y compris durant son temps libre, où il expose en galeries ses papiers sculptés, gravés. Son travail marque et se remarque. Il vend ses premières œuvres. Antonin Anzil gagne en confiance, en assurance et s’installe, dès 2017, dans l’atelier d’Ivry.

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Une série limitée pour la maison Ruinart

« J’ai fait des dizaines de tests de papiers et j’en fais encore, notamment sur des versions colorées ou patinées or. » Antonin Anzil poursuit ses recherches, tant pour répondre à certaines commandes que pour repousser les limites de l’exercice. « Le papier, c’est un matériau sans fin. Je ne m’en lasse pas. » Représenté très tôt à Paris et New York, il s’est vite fait repérer. Y compris chez Calligrane, la papeterie d’art à l’orée de l’Ile Saint-Louis, où l’on trouve une sélection de ses créations. Aujourd’hui, hôtels, marques de montres, éditeurs de pièces de mobilier ou autres particuliers le sollicitent pour des sculptures lumineuses, paravents, objets, tableaux grand format…

Cet été, c’est la maison Ruinart qui l’a approché. « Lors d’un dîner chez des amis, j’avais vu le nouvel étui seconde peau, éco-conçu, tout en papier, dans lequel Ruinart glisse ses bouteilles de champagne. Je suis reparti avec la bouteille vide et l’étui, pour voir ce que je pouvais faire avec… Une fois à l’atelier, j’en ai acheté trois autres pour bâtir une série. » Il poste trois images de son ébauche sur les réseaux sociaux. Une semaine plus tard, une délégation de la maison de champagne pousse la porte de son atelier du Val-de-Marne. Résultat : Ruinart a demandé à Antonin Anzil d’intervenir sur l’étui seconde peau de 20 magnums de Blanc de Blancs. L’artiste a alors gravé reliefs et paysage du vignoble historique de la maison de champagne à Taissy, sur la Montagne de Reims. Cette série limitée est désormais disponible, en exclusivité, dans les locaux rémois de Ruinart.

Fidèle en amitiés

Antonin Anzil fonctionne à l’instant et à l’instinct. « L’important, c’est l’humain », dit-il. Fidèle en amitiés, il planche actuellement sur un projet commun avec la photographe Nathalie Baetens. « Nous avons travaillé ensemble chez Francis Kurkdjian et nous sommes restés en contact. » Le duo mêle images et sculptures dans une création originale qui doit faire l’objet d’une exposition. Une première sélection de tirages est stockée dans l’atelier d’Ivry. Mais c’est encore trop tôt pour montrer, révéler. Cette nouvelle aventure artistique ne fait que commencer. L’expo n’est programmée que pour 2022.

Antonin Anzil est aussi ICI

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