Il existe plusieurs façons d’accéder à la Comédie Française. Par l’entrée des artistes. Par l’entrée, tout court. Ou par la boutique. Entièrement revue, repensée, redécorée, celle-ci en dit long et beaucoup sur les coulisses de la maison de Molière. Molière pourtant mort sept ans avant la création du Français par Louis XIV en 1680, mais qui en reste l’une des principales références. Molière, dont on fêtera les 400 ans de sa naissance le 15 janvier 2022. Molière, encore, dont on trouve toutes les œuvres dans la boutique, imaginée telle une ruche - emblème du Français depuis 1682 -, avec des alvéoles en guise de rayonnages. « Les Ateliers des décors de la Comédie Française, installés à Sarcelles, ont travaillé à la rénovation de la boutique. Ils ont réalisé les alvéoles suspendues dans les vitrines, avec les mêmes procédés que ceux utilisés pour la scène », explique Martine Villemot. Déléguée à l’activité commerciale du théâtre, elle a planché avec Eric Ruf, administrateur de la Comédie Française, pour réinventer cet espace où l’on trouve de tout : de la gomme au carnet, en passant par les bougies créées par Olivia Giacobetti, les porcelaines de Sophie Masson ou encore les savons par Ciment.

Le brigadier devient mortier et le balai à ciels se fait houssoir

Autoportrait de Stefania Di Petrillo.

La série la plus poétique de la boutique : c’est « La Comédie des Objets », que l’on doit au duo de designers Stefania Di Petrillo et Godefroy de Virieu. Depuis le milieu des années 2010, ils s’amusent à détourner sémantique et vocabulaire technique propres au théâtre. Avec eux le brigadier, bâton utilisé par le régisseur pour frapper les trois coups, devient un mortier à épices. Le balai à ciels, grosse brosse à long manche pour peindre des toiles de décor posées au sol, se fait houssoir avec de véritables plumes d’autruche. Le cintre, point de convergence des fils servant à la manœuvre des décors situés au-dessus de la scène, renoue avec son homonyme domestique pour pendre et suspendre. Quant au clou du spectacle, c’est un clou de grande taille, glissé dans une boîte de pointes ordinaires issues de chez Rivierre, clouterie labélisée Entreprise du patrimoine vivant.

 

« Sans l’observation de ceux qui font, rien n’aurait été possible »

Durant le premier confinement, Stefania Di Petrillo a œuvré en solo. Quelques temps avant, elle s’était retrouvée par hasard dans l’atelier des tapissiers du Français. Une pièce avec coins et recoins, auxquels on accède après quelques déambulations entre couloirs, salons, vestiaires, espaces de détente ou de répétition. « Chez les tapissiers, j’ai découvert des housses parées de numéros inscrits au pochoir », raconte la designer.

Dans l'atelier des tapissiers du Français.

Ces housses recouvrent chacune des quelque 4 000 pièces stockées et inventoriées par les tapissiers. A titre d’exemple, que protège la housse n°1 ? Le fauteuil de Molière, actuellement exposé dans la galerie des bustes de la Comédie Française. Quant au lit de Roméo et Juliette, les tapissiers l’ont déhoussé pour le mettre à dispo lors des répétitions de Fanny et Alexandre, spectacle joué du 20 octobre 2021 au 30 janvier 2022. Ces pièces et matières cachées ont inspiré Stefania Di Petrillo. A partir d’une toile bisonne en lin et coton, « très résistante », trouvée chez le fournisseur de tissus Leobert et proche de celle utilisée par les tapissiers du théâtre, elle a conçu une série de housses, dites « Housses en scène ». Elles aussi sont numérotées. Et pour savoir à quel objet de l’inventaire du Français chaque housse se réfère, il suffit de lire l’étiquette. Une histoire dans l’histoire. Même si elle a travaillé à distance pour dessiner, bâtir, coudre, tester, Stefania Di Petrillo n’oublie pas son « point de départ » : « Sans l’observation de ceux qui font, rien n’aurait été possible. » Désormais la toile bisonne numérotée se fait housse pour ordinateur, pochette, sac et même plaid. Quant à l’étui à lunettes, faute d’étiquette, c’est le chiffon de nettoyage des verres qui raconte la fameuse histoire. Le récit se termine ainsi : « La housse devient aux éléments de décor ce que la loge est au comédien. »

Une ruche dans la ruche

Avec la variété d’objets qu’elle commande à une sélection de créateurs et designers, la boutique de la Comédie Française est donc devenue éditeur. Cette ruche dans la ruche est d’ailleurs une curiosité à observer. Sur une table de travail, à la vue de tous, on plie, on noue, on bichonne, on enrubanne, on emballe des pièces à exposer en vitrine ou prêtes à partir ailleurs. Car les achats in situ ou sur le Web sont traités dans ce même lieu, ouvert du mardi au dimanche. Quant à Stefania Di Petrillo, si on aime son travail à partir de la toile bisonne, il faut jeter un œil aussi sur les créations menées avec Godefroy de Virieu pour petit h, dans la boutique Hermès de la rue de Sèvres à Paris. A ne pas manquer non plus : sa décoration de la toue cabanée au Relais de Chambord. Cette embarcation traditionnelle à fond plat a été aménagée tel un appartement, pour séjourner au calme sur le canal du Cosson, face au plus vaste des châteaux de la Loire.

Boutique de la Comédie Française : 2 rue de Richelieu, Paris 1er. Tél : 01 44 58 14 30. Sur le Web, c’est par ICI. Et pour Stefania Di Petrillo, c’est par .