Jeudi midi. On se presse devant l’entrée de la boutique de la Comédie-Française, place Colette à Paris. Car c’est le jour et l’heure de la semaine où une trentaine de costumes de scène sont mis en vente. Martine Villemot, déléguée à l’activité commerciale au sein du Français, préfère dire que ces tenues sont « transmises » et se destinent à « une autre vie ». La règle du jeu : premier arrivé, premier servi… L’auteur, metteur en scène et comédien Alexandre Laval a ainsi déniché une redingote et son justaucorps pour 250 euros. Un duo de pièces portées dans Les plaisirs de l’île enchantée, œuvre du XVIIe siècle mise en scène sur les planches de la Comédie-Française par le chorégraphe Maurice Béjart en 1980. Collector ! Alors, certes, Alexandre Laval ne va pas se vêtir de ces effets pour prendre le métro, mais plutôt pour un rôle qu’il prépare dans une pièce de Victor Hugo… Reste que les acheteurs ne sont pas que des comédiens ou des habilleurs de plateaux. Ici, le jeudi, ça défile. Du beau gosse qui veut briller un soir dans un club parisien avec une cotte de mailles à la drag queen qui change de peau toutes les nuits, en passant par les fans de jeux de rôles et autres collectionneurs, la palette de profils est large.

© Comédie-Française

« Faites-vous plutôt un Pierre Dux ou un Louis Seigner ? »

Côté tailles, pas de 38 ni de 40 et encore moins de XS ou d’« extra large ». Au Français, on raisonne « personnages » et surtout « interprètes ». Autrement dit : a-t-on plutôt la corpulence d’Anne Kessler, de Pierre Dux ou de Louis Seigner ? Un autre langage. Une autre vision du vêtement. Et puis pas de cabine d’essayage. On improvise dans la boutique du théâtre, entre pile de livres, comptoir, présentoir, miroir... À la vue de tous. Comme sur scène. Ce qui n’a troublé en rien Alexandre Laval. La redingote lui allait comme un gant. Il a hésité… moins de dix minutes, puis la vendeuse lui a emballé l’ensemble.

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Du cousu main à partir de 50 euros…

Chaque costume raconte une histoire. Celle d’un rôle et d’une pièce, mais aussi le savoir-faire des petites mains des ateliers de la Comédie-Française. Tout un art. Coupe, découpe, assemblage, finitions… on est dans la précision, la justesse, la beauté d’un geste. Quant aux stocks de vêtements, ils débordent. D’où cette vente annuelle, sur une période de trois mois, de quelque 400 pièces dont les prix oscillent entre 50 et 500 euros.

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40 000 éléments de costumes immatriculés

À la tête de la régie des costumes au Français, Isabelle Benoist parle de « 40 000 éléments de costumes immatriculés et plus de 600 accessoires », tous entreposés dans un sous-sol de 1 000 m2 situé rue Amelot, à Paris. Installée dans les combles de la Comédie-Française, juste au-dessus du jardin du Palais-Royal que l’on voit depuis les fenêtres de toit, elle trie, pend, suspend et jongle entre les tenues de scène en bon état, les transformables, les abîmées. Les plus anciennes et les pièces d’exception partent, quant à elles, au Centre national du costume et de la scène, à Moulins, où elles sont gardées, préservées, voire exposées.

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L’éthique d’une étiquette

« On ne jette plus aucun costume, ni aucun tissu », confie Martine Villemot. Tout ce qui devient hors d’usage part désormais chez Emmaüs, qui en fait des coussins, des accessoires et même des panneaux acoustiques. Rien ne se perd… et la vente du jeudi fait partie de cette même logique. L’an dernier, celle-ci a permis de disperser plus de 400 costumes, chacun associé à un personnage, un spectacle et une année de production. L’autre éthique d’une étiquette.

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La garde-robe du jeudi : nouveau stock d’une trentaine de tenues de scène mis en vente, chaque jeudi à partir de midi, à la boutique de la Comédie-Française - 1 place Colette, Paris 1er.