« Quand j’ai voulu changer de vie, j’ai investi dans un tour, un four et une paire de sabots. » Les sabots, c’était pour imiter la baba cool chez laquelle Karen Swami avait pris ses premiers cours de poterie à l’âge de 5 ans, boulevard Pereire, à Paris. Sa reconversion professionnelle s’est amorcée en 2010. Elle dirigeait alors une société de production cinématographique, domaine dans lequel elle ne trouvait plus ses marques. « C’était le début des plateformes de streaming.  Nous étions à un tournant dans le métier que j’exerçais. » Un stage de céramique, animé par le tourneur Thierry Fouquet à Montreuil, lui ouvre de nouveaux horizons. Karen Swami va tout plaquer, décrocher un CAP en candidate libre et choisir la terre pour matière première. Résultat : aujourd’hui, l’ouvrage Céramique en mouvement (Ed. Lienart) témoigne de ses dix dernières années de création. Par ailleurs, l’artiste de 53 ans est à l'affiche de quatre expositions d’ici au printemps 2024, à Paris, San Francisco et New York. Un succès auquel elle n’aurait jamais cru lorsqu’elle a installé son four et son tour dans son bureau de production et qu’elle cumulait encore les deux jobs. « J’étais sûre de ne pas vivre de la céramique. » Mais c’était sans compter sur ce « déco de ciné » qui a montré les réalisations de Karen Swami au décorateur d’intérieur Christian Liaigre. Le début d’une collaboration qui se poursuit encore aujourd’hui entre l’artiste et la maison Liaigre. C’est aussi l’orée d’une nouvelle vie pour cette diplômée d’une grande école de commerce, qui a osé sortir du rang.

La main épouse l’idée

« Tout quitter, ce n’était pas une question de courage, mais plutôt une question de survie. » Karen Swami avait besoin d’air, de lumière, de terre aussi. Une matière qu’elle aime toucher, malaxer, façonner. Et ce d’autant qu’elle ne cesse de chercher, inventer, expérimenter de nouveaux procédés, de nouvelles « recettes ». Elle se réapproprie volontiers les techniques ancestrales, tels l’enfumage, la raku ou autre laquage végétal, pour créer un effet de surface ou parfaire un accord de couleurs. Elle travaille aussi le craquelé, la fêlure, la brisure… La main épouse l’idée. Le geste est sûr. Habile. Subtil. Et l’objet finalisé est utile, plein de vie, riche en émotion. Ses sources d’inspiration ? « Des moments de respiration ». À l’instar de ses visites de musées ou des balades qu’elle peut faire le long de la mer, lorsqu’elle investit son atelier de Locquirec, dans le Finistère. Quant à son QG parisien, c’est son atelier-galerie du 6 rue Victor Schoelcher, dans le XIVe arrondissement. Là, elle est en vitrine. À la vue de tous. Un parti pris qu’elle assume : « Quand je travaille, je suis concentrée, je ne vois plus les passants. » Mais certains la regardent, l'observent, d'autres toquent à la porte vitrée, les timides passent une tête, les plus curieux entrent. « C’est un lieu d’échanges qui me nourrit », reconnaît Karen Swami. C’est ainsi qu’un flâneur peut venir lui parler des sculptures de Pol Bury, un autre pour papoter céramique, un autre encore pour demander conseil : « Au début, on me sollicitait beaucoup sur la reconversion professionnelle. Aujourd’hui, Je donne mes recettes d’émaux ou de craquelé aux potiers qui passent me voir, car tout doit circuler, le savoir et le savoir-faire. Ensuite, chacun a sa façon de faire… » Karen Swami, la généreuse, la passionnée, l’hyperactive aussi : « Je travaille 95 heures par semaine et mes vacances, c’est à Locquirec, avec le tour et le four. » Quand elle le dit aux étudiants des Arts déco, en stage chez elle, « ça ne leur fait pas peur ». Des étudiants qui lui « décodent le présent », comme elle dit : « J’avance avec eux. Ils me font progresser. C’est très stimulant. » En contrepartie, elle leur parle de terre, de tour, mais aussi de marketing, politique de prix, respect des délais et de « l’art de savoir composer » face à un directeur artistique plus indécis que les autres.

« Libre, indépendante et seul maître à bord »

© Vincent Thibert

Les céramiques de Karen Swami font désormais le tour du monde. Les grandes maisons la sollicitent. À commencer par Liaigre, qui la représente jusqu’en Asie, mais aussi Hermès, Dior, Guerlain, Cartier… Récemment, on lui doit deux bas-reliefs du Carlton flambant neuf, à Cannes. Et les commandes affluent. Elle évoque notamment un projet pour une table étoilée. Elle raconte sa récente échappée à San Francisco, pour aller signer la version anglaise du livre Céramique en mouvement, dont elle a confié une partie de la rédaction à son amie d’enfance, Laurence de Charrette, directrice-adjointe de la rédaction du Figaro. Pour l’autre partie, Karen Swami a choisi Olivier Gabet, à la tête du département des Objets d’art du Louvre. Rien que ça. « Je suis dans la terre tout le temps : ce livre, c’est une façon de m’exprimer autrement », explique Karen Swami. Un ouvrage qu’elle a souhaité ouvert aussi sur son travail inachevé, avec des pièces en train de cuire ou de sécher. Elle a tenu également à intégrer un glossaire, « pour partager mon univers d’un point de vue plus technique ». Instinctive, impulsive, l’artiste se dit ravie, comblée : « Je fais ce que j’aime, toute la journée. Je suis libre, indépendante et seul maître à bord. » Avec pour moteur, « la reconnaissance » : « C’est elle qui permet de continuer. »

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Céramique en mouvement – Textes de Laurence de Charrette et Olivier Gabet – Editions Lienart – 192 pages, 140 illustrations – 35 €

Karen Swami expose à Paris : du 16 au 23 novembre 2023 à l’Atelier-galerie Karen Swami (6 rue Victor Schoelcher, 14e), et du 30 novembre 2023 au 20 janvier 2024 chez Atrata (30 Galerie de Montpensier, Jardin du Palais Royal, 1er).

Et aussi à San Francisco, jusqu’au 16 novembre, dans le cadre de March Fine Art. Puis à New York, aux Ateliers Courbet, du 23 janvier jusqu’au début mars 2024.

Enfin, Karen Swami est aussi ICI