2022, c’est un peu son année. Entre la sortie d’une monographie en 1 000 pages, début avril aux éditions Actes Sud, et pas moins de quatre expositions réparties entre Paris, Lille et Roubaix, Frédérick Gautier enchaîne les projets, les chantiers, les réalisations. Son métier ? Difficile à résumer. Car l’artiste est multiple. Céramiste, designer, sculpteur, paysagiste… il touche à tout avec talent. Mais surtout, sa vie d’avant, lui permet d’avoir une vision globale d’une création, avant même qu’il ne commence à la concevoir. Il la scénarise, la met en scène, l’imagine en photo, lui trouve une place sur une future affiche, alors qu’il n’a pas encore saisi, ni manipulé un seul outil. Il sent les formes, ressent l’image. Et pour cause : pendant près de vingt ans, Frédérick Gautier a bossé pour le cinéma. « J’étais directeur artistique. J’ai travaillé avec David Lynch, Patrice Chéreau, Amos Gitai… » Il parle de ses années « Studio Canal », de projets culturels pour l’homme d’affaires François Pinault… « J’étais tout le temps dans un avion. » Un beau matin, il a voulu atterrir, changer de voie, de vie et de point de vue, passer de la culture à l’agriculture. Il a tout plaqué pour intégrer l’École nationale supérieure de paysage, à Versailles. Là, il va renouer avec le modelage et la céramique : « J’en fais depuis l’adolescence. » Mais Frédérick Gautier a grandi, mûri, évolué. Alors il va y ajouter une touche de brutalisme, en optant pour une matière première singulière : le béton. Un choix radical, où le dur se fait durable, car incassable, inaltérable. Pas question de jeter ou remiser une pièce : l’artiste ne crée que des objets du quotidien. Pas de futile. Juste de l’utile : celui qui s’empile, s’emboîte, se garde, accompagne, se transmet.

Repousser les limites de l’interdit

Performances et résidences jalonnent aussi le parcours de Frédérick Gautier. Un exemple : en marge de ses cours à l’école de Versailles, il trace une ligne éphémère à la nage dans le grand canal du château de Louis XIV. Agnès b. adore, adhère, soutient. L’école nettement moins… L’artiste, lui, n’a qu’une envie : continuer de repousser les limites de l’interdit, de préférence dans des lieux de référence qu’il hante en amont, avec son appareil photo, « pour faire du repérage ». Car il s’inspire de chaque espace, terroir et territoire qu’il investit. Il va ainsi habiter la péniche de Le Corbusier, où il réalise 100 théières, longer le fleuve qui traverse Los Angeles en créant des objets liés aux lieux, installer son atelier sur les passerelles des magasins généraux à Pantin et concevoir 100 bittes d’amarrage… Jusqu’à sa résidence dans la galerie Mercier à Paris, où il a finalisé une série de murs « vivants » de deux mètres sur deux, baptisés « Claustra » et dotés de roulettes pour être déplacés facilement. Chacune de ces sculptures XXL se compose de 25 éléments en béton, modulables, orientables, ajustables, pour des jeux d’ombres et de lumières à l’infini. Frédérick Gautier met de la poésie dans le brut du béton et de l’élégance dans ses formes graphiques, épurées à l’extrême. Jusqu’au 30 avril 2022, les claustras sont exposés à la galerie Mercier, tout comme les assises, en marbre, béton, caoutchouc, liège et bois, pensées pour le couvent des Dominicains de Lille, où l’artiste était en résidence en 2021 avec ses moules, four, laminoir, bétonnière et briques couleur locale. Chacune de ces assises réunit trois pieds – « la trinité pour la structure » -, ainsi que cinq disques de 5 cm – « les doigts de la main de l’artisan » - et 37,2 cm de diamètre – «  la température moyenne du corps » -. Le compte est bon et l’objet est beau. Si bien que la maison Serax va éditer l’assise d’ici à la fin 2022. Serax qui apprécie le travail de Frédérick Gautier et commercialise, depuis 2015, ses théières, bols, vases, assiettes, plats, lampes… Des objets également visibles dans la galerie Mercier. Au total, celle-ci expose quelque 200 pièces en terre et béton, qui vont ensuite partir vers Lille et Roubaix, à l’occasion de la 6e édition de Lille 3000 qui débute en mai 2022.

« L’expo Dali à Beaubourg : J’avais 14 ans. C’était comme un électrochoc… »

 En quittant l’univers du cinéma, Frédérick Gautier n’a gardé qu’un pied à terre à Paris. Depuis une dizaine d’années, sa « vraie » maison et son atelier – de 300 m2 - se situent en Bourgogne, dans un village fortifié, au bord de l’eau, à 80 minutes de route de la capitale. Un changement de décor et de façon de fonctionner : « Je produis mes légumes. Je n’utilise quasiment plus ma voiture. Je viens à Paris en TER, depuis la gare de Tonnerre, parfois avec deux grosses valises à roulettes remplies d’objets en béton. » Des objets qu’il signe « FCK » avec un poinçon. À l’ancienne. Quand on lui demande ce qui a été le plus déterminant dans son parcours, il répond : « Lorsque mon père m’a emmené voir l’expo Dali à Beaubourg. J’avais 14 ans. C’était comme un électrochoc… » Là, il a su que sa vie serait liée à l’art. Quant à Beaubourg, c’est « pour toujours » : son appartement parisien se situe juste en face, sa fille y travaille, ses objets édités par Serax y sont vendus et sa monographie aussi. Une autre idée du circuit court qui fait sourire le solitaire. « En Bourgogne, je travaille seul. Certains habitants du village voisin  passent me voir spontanément. Certains veulent m’aider, ils viennent, ils apprennent. Je reçois aussi des élèves de l’École Boulle et de Duperré… » Un solitaire qui a le goût des autres.

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Frédérick Gautier est aussi ICI.

Et jusqu’au 30 avril 2022, à la galerie Mercier, 3 rue Dupont de l’Eure, Paris 20e.

Puis, du 7 mai au 3 juillet 2022, au couvent des Dominicains à Lille (7 avenue Salomon), à La Piscine - Musée d’art et de l’industrie André Diligent, à Roubaix (23 rue de l’Espérance) et au Fil Rouge - galerie Q.S.P. à Roubaix (112 avenue Jean Lebas ).

© Jean-Luc Perreard