« Ici, on ne fait jamais de réunion. On est dans la stratégie, mais on n’a pas de chef de projet. On fonctionne en circuit court… » Helena Ichbiah donne le ton. Dans sa maison-bureau de Montreuil, où elle vit depuis 1999, la graphiste et directrice de création du studio Ich&Kar a aménagé un atelier en étage. Là, elle travaille avec deux complices. « Un autre poste est également disponible pour celle ou celui qui passe. C’est aussi là que s’installe le comptable, quand il vient nous voir... » Une autre idée de l’auberge espagnole. Ici, ça bosse sérieux, sans se prendre au sérieux. « On est dans l’artisanat », confie Helena Ichbiah qui imagine et réalise des identités visuelles, du branding, du packaging… Le studio Ich&Kar, qu’elle chapeaute, se positionne aussi sur la direction artistique de lieux, d’espaces, ce qui englobe jusqu’à la conception d’un intérieur. À l’instar du bar à vins et tapas, baptisé Otto, que le chef Éric Trochon ouvrira, « avec Stéphane et Tony », durant l’été 2022, rue Mouffetard à Paris. Un micro resto, « à l’ambiance dorée », qu’Helena Ichbiah a surdimensionné avec des miroirs. « C’est un croisement entre Blade Runner et du compact minimaliste », dit-elle. Mais encore ? « Ça rappelle un izakaya, bar à saké que l’on trouve au Japon, avec une cuisine ouverte au cœur de ce petit espace. » Et puis Ich&Kar, c’est aussi des pochettes de disques pour Rachid Taha, des collaborations avec Chanel, Saint Laurent ou Christofle comme avec Eram ou Tati… C’est de la déco, avec des objets et du papier peint inspirés des pavages imaginés par le mathématicien britannique Roger Penrose. C’est un ADN donné au Sketch à Londres, à la maison Troisgros à Roanne, à Dear Breakfast à Lisbonne, au Derrière à Paris... Sans oublier la tour Eiffel posée sur un camembert, comme logo pour La Crémerie à Shanghai. Et ça fait un bail que ça dure. « Ma première commande remonte à 1991 : c’était pour l’architecte Pierre Lombard. Je lui avait fait son papier à lettres. »

© Julie Ansiau

« J’aime réfléchir aux usages »

Dans l’escalier qui mène jusqu’à l’atelier d’Helena Ichbiah, les murs sont recouverts de dessins. Car les enfants de la graphiste, et leurs copains, ont carte blanche pour s’exprimer dans cet espace. La création se fait récréation. Une ouverture d’esprit qui fait écho au mode opératoire de la graphiste. Elle n’a de cesse, en effet, de tourner, retourner, détourner gravures d’hier et dessins d’aujourd’hui, pour en faire des images ou collages à messages. Elle joue avec le double sens des uns, l’humour et la légèreté des autres. Pour un résultat tout en poésie, fantaisie, magie, élégance, qui donne vie à « des classiques intemporels ». C’est le cas, par exemple, des menus, objets et autres emballages emballants qu’elle a réalisés pour le chef étoilé Pierre Gagnaire ou le chef pâtissier Sébastien Gaudard. « J’aime réfléchir aux usages », souligne Helena Ichbiah qui planche aussi bien sur une couronne de galette des rois qu’un calendrier de l’avent ou un paquet de spaghettis. En 2021, la marque de pâtes Marcolino, vendue notamment chez Monoprix, lui a ainsi confié son identité visuelle : « Je me suis inspirée des anciens carreaux siciliens. » Et pour le packaging, elle a opté pour du rose et du rouge : sa façon de sortir du rang. Car cette Parisienne, qui a grandi à Versailles, aime le pas de côté. Depuis toujours. Étudiante à l’École de communication visuelle, son appartement était dans un ancien bar, du côté de Pernety. À l’orée des années 1990, elle a aussi fréquenté le squat d’artistes de l’Hôpital Ephémère, rue Carpeaux… Pas pour elle, la route tracée d’avance. Elle ne s’enferme dans rien, voyage léger et même ultra léger, car sans permis de conduire. Elle se dit flâneuse, avec Mexico comme ville de prédilection.

« J’aurais pu être bibliothécaire »

Depuis le 15 avril 2022, Ich&Kar a un nouveau visage… sur le Web. Le site du studio a été revu, repensé, refait, pour une navigation plus fluide, mais surtout pour ajouter une table des matières. « Cet index, doté de filtres, permet de cibler ses recherches par thème : édition, illustration, direction artistique, film, hôtels et restaurants, mode, art et culture, design et architecture… », détaille Helena Ichbiah, la méticuleuse. « J’aurais pu être bibliothécaire », reconnaît-elle. Car elle range, classe, archive. Son « IKthèque », la banque d’images du studio Ich&Kar, est un modèle du genre. Les rubriques s’intitulent cuisine, bois, emblèmes, fête-spectacle, fête-bal masqué, éventails, animaux, chimères humaines… Elles regorgent de gravures anciennes, matières premières d’Ich&Kar. Un passé qui n’a rien de dépassé. La preuve : en 2021, la Friche la Belle de Mai, QG culturel de 45 000 m2 à Marseille, a sollicité Helena Ichbiah pour concevoir son manifeste. Rebelote avec le duo de paysagistes Arnaud Maurières et Éric Ossart, dont l’ouvrage paraîtra en mai 2022. Même le cabinet d’avocats berlinois Thomas The startup lawyers veut du Ich&Kar pour son identité visuelle. Enfin, début 2023, il faudra  faire le détour par Bordeaux : Helena Ichbiah et la scénographe Clémence Farrell préparent actuellement la métamorphose de la Cité du vin.

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