Le 7 avril 2022, leur compteur affichait 8 500 kilomètres parcourus en 212 jours. Un périple rythmé par 85 étapes, dont une bonne partie le long des côtes françaises. À commencer par leur point de départ : Angélique Maillard et Julien Cottier ont pris la route depuis Malo-les-Bains, à bord d’un Peugeot Boxer qu’ils ont entièrement aménagé pour y vivre et travailler. C’était en septembre 2021.

« Faire moins, mais mieux »

Elle est designer et architecte d’intérieur. Il est designer et architecte « tout court ». Ils se sont rencontrés à Paris, en 2008. Ils étaient alors en stage chez l’architecte Jean Nouvel. Elle, c’était à l’issue d’un cursus d’architecture d’intérieur à Duperré, puis à l’Ensaama Olivier de Serres. Lui, il cumulait Bellecour à Lyon et le Politecnico di Milano. Plutôt doué, le duo. D’ailleurs Jean Nouvel va les embaucher. Puis, direction Montréal, au sein d’une agence canadienne d’architecture, avant de revenir à Paris en 2011, où ils créent l’Atelier JMCA – Architecture & Design. Leur premier client ? Le cuisinier Pierre Sang, alors finaliste de l’émission télé Top Chef. Il ouvre son premier resto, rue Oberkampf, et confie à Angélique Maillard et Julien Cottier le soin de faire rentrer cuisine de pro et salle d'une vingtaine de couverts dans… une boîte à chaussures. Depuis, le duo a conçu toutes les adresses parisiennes du chef d’origine coréenne. Actifs et créatifs dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, ils travaillent aussi pour des particuliers. Mais ce qu’ils préfèrent, c’est quand il y a des défis techniques à relever, des astuces à trouver, des recherches à mener, des vieilles pierres à préserver… L’épisode du premier confinement les a fait réfléchir sur leur façon de travailler, d’appréhender un chantier. Leur idée : « Faire moins, mais mieux, en évitant les sélections toutes faites dans les catalogues, pour mettre en avant des artisans de proximité. » Des artisans qu’ils veulent voir, rencontrer, pour échanger, bâtir, construire. « Nous voulions aller vers ces artisans, comme le médecin de campagne va vers ses patients », explique Angélique Maillard. « Et puis, on commençait à étouffer dans Paris », ajoute Julien Cottier. « On se demandait où il serait pertinent de nous installer ailleurs que dans la capitale. Mais découvrir des villes en un week-end, c’est trop court. Il faut pouvoir se balader, visiter, déjeuner, dîner… », complète sa complice. Sauf que le pass Navigo et le vélo ne suffisent pas toujours pour « aller vers », pour aller voir… C’est comme ça que le Boxer est entré dans leur vie.

Une totale autonomie en énergie

© Julien Cottier

Angélique Maillard et Julien Cottier n’avaient jamais eu de voiture. Mais ils avaient leur permis. « Le camion a été notre première immatriculation. » Avec « 44 » comme choix de département, clin d’œil aux origines nantaises d’Angélique Maillard. Le Peugeot Boxer pour lequel ils ont opté fait 6 mètres de long et 2 mètres de large. Ils l’ont acheté vidé, pour pouvoir l’aménager. « On nous demandait un à deux ans de délai pour y installer une table, des couchettes, une kitchenette… Mais nous voulions partir vite. Alors on a tout créé nous-mêmes », raconte Julien Cottier. Ils ont débarqué dans un atelier partagé d’Aubervilliers, où ils ont pu tout concevoir en numérique. À l’aide d’un relevé 3D par scanner laser de leur  véhicule, ils ont reproduit en « conception assistée par ordinateur » (CAO) l’intégralité de la carrosserie,  pour optimiser toutes les aspérités du volume disponible. Puis, comme un Lego, ils ont assemblé et emboîté des centaines de panneaux de bois, teintés et huilés, qu’ils ont installé à l’intérieur du Boxer. Bureau pour deux, banquette, lit escamotable, rangements, cuisine, douche avec ballon d’eau, chauffage, toilettes sèches… il ne manquait rien. Si : les deux panneaux solaires d’une puissance de 330 watts, posés sur le toit du camion, pour une totale autonomie en énergie. Quant à la carrosserie intérieure, elle a été recouverte d'une fine couche de liège projeté, complétée de panneaux souples en  laine de chanvre, lin et coton. Les premiers essais de vie en van ont eu lieu en juillet 2021.

« On perd la notion de porte et de digicode »

Au départ, ils ont privilégié les côtes françaises. Histoire de voir la mer. Puis, peu à peu, ils ont bifurqué pour progresser au gré des points d’eau. « À Paris, en appartement, on n’a aucune notion de ce que l’on consomme en eau, car celle-ci fait partie des charges communes. Dans le van, on a 90 litres par jour pour deux. On sait exactement ce que l’on consomme », détaille Angélique Maillard. La vie à bord ? Un peu comme dans un bateau : mieux vaut éviter de se faire la gueule ! « C’est un bon test pour le couple », reconnaît le duo. C’est aussi une autre relation avec l’extérieur, une nouvelle proximité avec la nature. « On vit dehors, on voit les saisons, on sort par tous les temps, même quand il tombe des cordes au Cap Fréhel ! », explique Julien Cottier . « On ouvre le fourgon, les gens viennent nous voir, nous parler… On perd la notion de porte et de digicode », poursuit Angélique Maillard. Et puis fini le dressing XXL qu’elle avait à Paris : « Je n’ai plus que le juste nécessaire. À savoir quatre pulls et quatre jeans. » Son partenaire, lui aussi, a revu le nombre de ses effets à la baisse : « Je n’ai que des vêtements qui durent et se lavent facilement dans un Lavomatic », dit celui qui ne se sépare plus de son pull marine Saint James. Impossible de stocker, donc. On répare ou on remplace quand c’est usé. Même scénario pour la nourriture : pas de provisions, que de l’ultra frais acheté au marché. Quant aux livres, ils sont empruntés, puis redéposés dans des « boîtes à lire ».

Le Boxer garé au camping de Boulogne-Billancourt

© Julien Cottier

Cette échappée n’a rien à voir avec une année sabbatique. À bord, le duo bosse. Il a même créé une entité annexe à l’Atelier JMCA, baptisée Forçat bureaux nomades. Projets, chantiers – dont un à Hong Kong -, tout est suivi, mené, accompagné comme lorsqu’ils étaient à Paris. La 4G, Skype et les réunions en « visio » le permettent. Quant à la mini matériauthèque embarquée dans le van, elle est utile pour prospecter au fil de leur tour de France. Tout comme l’unique tenue « chic » qu’ils ont en cas de « rendez-vous pro ». « Une telle organisation aurait fait peur à un client voilà encore trois ans. Aujourd’hui, ça passe et ça se passe très bien », constate Angélique Maillard. Ils ont toutefois un confrère à Paris qui se rend chaque semaine sur leurs chantiers franciliens et eux-mêmes redeviennent parisiens une semaine tous les deux mois. L’occasion de garer le Boxer au camping de Boulogne-Billancourt, où ils séjournent. « Nous avons mis notre appartement en location, pour ne pas être tentés de casser le rythme de la vie en camion », souligne Angélique Maillard. Ils passent juste récupérer le courrier chez les voisins. Cette semaine, ils sont venus pour voter à la présidentielle. Mais pour le second tour, ce sera par procuration. Car ils auront repris la route vers l’Auvergne et, après Pâques, direction les Landes. Et pour cause : le 20 mai, ils participent au Vanlifest à Capbreton, où ils prendront la parole sur le thème du travail nomade.

Tableau Excel et taux d’ensoleillement

© Julien Cottier

Les deux architectes se donnent six mois encore pour trouver leur port d’attache. La ville où ils vont pouvoir s’installer, « tout en gardant un pied à Paris ». Pour faciliter leur choix, ils ont créé un tableau Excel, agrémenté d’une quinzaine de critères clés, tels que le taux d’ensoleillement, l’évolution démographique, la présence d’un hôpital, le nombre de restaurants étoilés, le nombre de musées… La Rochelle, Vannes, Bayonne, Aix-en-Provence ou encore Quimper se hissent dans leur « top 5 », pour le moment. « Mais il faut approfondir encore. » Surtout qu’ils ont eu un coup de foudre pour le village médiéval de Tourrettes-sur-Loup, dans l’arrière-pays niçois : « Nous devions rester trois jours, on y a passé trois semaines ! » Quant aux fans de leur van, qu’ils se rassurent : le Boxer est le modèle de véhicule utilitaire le plus courant. Donc le camion des deux archis peut facilement être dupliqué, car tous les plans et croquis ont été classés, archivés : il suffit de leur passer commande.

L'Atelier JMCA est ICI et Forçat bureaux nomades, .

Angélique Maillard & Julien Cottier - © Ekin Tunc