La photo, Charlotte Flossaut connaît par cœur. Elle a tourné tout autour. D’abord face à l’objectif, lorsqu’elle était mannequin, son « école de l’image ». Repérée en 1986 par Alexander Lierberman, alors directeur artistique du Vogue américain et patron de la rédaction du groupe Condé Nast, elle a côtoyé d’emblée le gratin de la mise au point : Albert Watson, David Seidner, Sarah Moon, Helmut Newton, Duane Michals, Bruce Weber, Sacha, Deborah Turbeville, Françoise Huguier, Koto Bolofo, François Halard… Puis, en 2003, elle prend du champ, devient agent de photographes et fait le pari de proposer des images d’auteur à la commande publicitaire. Parallèlement, elle organise des expositions. On lui doit Mue Couture, une série d’autoportraits de femmes photographes, en robes couture de la collection Carlo Ponti, ou encore La Collectionneuse de Carole Bellaïche pour le Mois de la Photo 2014. Autre corde à son arc : la curation. À partir de 2009, Charlotte Flossaut constitue, pour le groupe Accor et sous la direction artistique de Rodolphe Simon, la collection photo de la marque Novotel. Avec un parti pris pour la jeune photographie plasticienne. Un travail qu’elle poursuivra ensuite pour la marque Pullman. Au fil des années, son œil se forge, s’affine, s’affirme. Jusqu’à se voir confier en 2012 la direction artistique du salon Photo OFF, créé par Eric Fantou. Là, durant trois éditions, Charlotte Flossaut mise sur « la photographie engagée ». Celle qui conte le monde, raconte l’époque. Puis, en 2015, elle crée What’s Up Photo Doc. - la foire internationale de photographie documentaire, devenue en 2018 Photo Doc. - les nouvelles écritures de la photographie documentaire, avec la complicité de Valentin Bardawil. Autre pari. Autre défi. « Car personne ne voulait entendre parler de cette approche de la photo », se souvient Charlotte Flossaut. Et pour cause : l’aspect documentaire refroidit souvent les ardeurs, jugé trop dur, trop noir, trop proche d’une réalité pas toujours « belle » à montrer... À l’ère du « tout le monde il est beau » sur les réseaux sociaux, pas si simple de faire la promo d’une image-vérité ou de variations sur un même thème souvent liées à des semaines, des mois, voire des années d’immersion sur un terrain parfois hostile, souvent en solitaire. « Certains photographes poussent même la démarche jusqu’à faire partie du sujet… Rien à voir donc avec le photojournalisme, basé sur le factuel », précise Charlotte Flossaut. Mais il en fallait plus pour la dissuader ou la faire reculer. Pugnace, convaincue, convaincante, à l’aise dans une forme de « résistance », elle va suivre sa route, ses idées, ses points de vue. Résultat : on en est déjà à la 7e édition de Photo Doc. Celle-ci aura lieu du 12 au 14 mai 2023 à la Halle des Blancs Manteaux, à Paris.

Free from freedom 1 © Farshid Tighehsaz

Au commencement / © Estelle Hoffert / Galerie Madé

« Une construction de soi qui passe par l’autre… »

À chaque édition du salon, un thème. Cette année : l’autoportrait. « C’est un inattendu pour créer un arrêt sur image, une attention autre sur la démarche documentaire, une construction de soi qui passe par l’autre. D’ailleurs, le sous-titre de ce 7e Photo Doc. est : vers un commun de l’œuvre », explique Charlotte Flossaut, directrice artistique du salon. Puis elle cite en référence certains de ses choix pour ce cru 2023. À l’instar d’Hortense Soichet, qui a mené un travail de deux ans avec des femmes gitanes, pour donner naissance à une série d’images qui parlent autant d’elle que de ces femmes de la cité de l’Espérance à Berriac... Autre exemple : le regard porté par la photographe Anne Garde sur l’artiste Thierry Agullo en 1977, présenté par la galerie parisienne Le Thé des Écrivains, l’une des premières à avoir réservé un stand sur Photo Doc. Même scénario pour la galerie Madé, elle aussi située à Paris, qui présente les 4 m2 d’Estelle Hoffert. Cette superficie moyenne correspond aux chambres de foyers ou d’hôpitaux dans lesquelles Maurice Noth a vécu à la fin de sa vie. Désignée comme « sa personne de confiance », Estelle Hoffert a vidé la dernière chambre du vieillard et découvert des boîtes remplies de têtes de femmes qu’il découpait dans les magazines. Une matière première dont la photographe a fait une véritable introspection… « Au départ, personne ne pensait que l’on pouvait collectionner de la photographie documentaire. Aujourd’hui, un marché existe. Un public achète. Et pas forcément des séries d’images de sujets aux longs cours. La plupart du temps, une photo à elle seule porte un ensemble et fait le job », détaille Charlotte Flossaut. Clin d’œil ici à la photographie au cœur du roman L’origine de la violence de Fabrice Humbert, parrain de cette 7e édition de Photo Doc.

Linge séchant dans la cour d'une des maisons de la cité de l'Espérance / © Hortense Soichet

Johannesburg is queer 2 / © Luna Mey

« Le partage de l’intime comme construction sociale »

« Ce salon annuel, c’est avant tout une aventure humaine », reconnaît Charlotte Flossaut, qui en a fait désormais son métier premier. « Nous avons perdu des collaborateurs, nous en avons d’autres… Actuellement, nous avons trouvé un rythme de croisière, mais nous sommes en quête de nouveaux partenaires, réguliers, pour nous garantir un lieu où organiser et proposer le salon, mais aussi pour co-construire différents projets tout au long de l’année », confie-t-elle. L’idée : continuer sur la lancée du partenariat décroché avec le GIS – Le sujet dans la cité, Sorbonne Paris Nord-Campus Condorcet, « pour explorer les pratiques et formes esthétiques des nouvelles écritures de la photographie documentaire et le partage de l’intime comme construction sociale ». Une collaboration qui a débouché sur un observatoire, la publication d’ouvrages, des conférences, performances, ateliers et autre « Zoom du mois ». Une ouverture sur d’autres horizons qui fait écho à la diversité d’exposants au sein du salon. Galeries, collectifs, festivals, éditeurs… tous sont les bienvenus. « Les photographes non représentés ont également un stand qui leur est réservé », souligne Charlotte Flossaut, qui veille aussi à développer la présence d’écoles sur Photo Doc. « Parce qu’il faut transmettre, expliquer, montrer, avoir une démarche pédagogique », dit encore celle qui a fait le tour de l’appareil photo sans jamais oser appuyer sur le déclencheur. Pourquoi ? « J’ai trop de respect pour le travail de ceux dont c’est le métier. »

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  • Photo Doc. – Autoportrait : vers un commun de l’œuvre / du 12 au 14 mai 2023 à la Halle des Blancs Manteaux, 48 rue Vieille du Temple, Paris 4e. Photo Doc, c’est aussi ICI.
  • À ne pas manquer sur le salon: nos amis de Corridor Elephant et le stand (n°1) de la galerie parisienne Orbis Pictus, consacré au travail du photographe Jesse Fernandez, qui a su créer une relation particulière avec son sujet, comme si son âme se réfléchissait dans un miroir…

    Duchamp X 2 / © Jesse A. Fernandez / galerie Orbis Pictus