Paris Xe. C’est ici, derrière la porte cochère turquoise de la Villa du lavoir, qu’Élise Fouin a installé son studio-atelier. Un duplex lumineux où piles de livres, boîtes, carnets, papiers, crayons colorés, ciseaux, machine à café… côtoient les esquisses, tests ou autres prototypes de la designer. « Designer » : un mot dont elle ignorait tout, gamine, lorsqu’elle fabriquait brouette et objets divers avec son frère et son grand-père agriculteur. Car Élise Fouin a grandi dans une ferme : « Un ancien monastère situé au milieu des champs et des bois, où l’on a un autre rapport à l’ennui, où la contemplation est propice à la création », décrit-elle. École, collège et lycée : « C’était à Vesoul. » Au cœur de la « french county » chantée par Hubert-Félix Thiéfaine. « Chez nous, on réparait beaucoup, on faisait perdurer les objets, on créait, on inventait », poursuit Élise Fouin. La récup’ et le circuit ultra court avant l’heure. « Le bon sens paysan », nuance la designer. Atelier de peinture, cours de danse et de piano vont également rythmer son enfance. Si bien qu’en classe de terminale, elle décroche un bac littéraire, options arts plastiques et maths, avec l’intention de devenir peintre. Mais une visite de l’École Boulle et de ses ateliers vont suffire à la séduire. « J’y ai vu l’accès au faire. » Tel un écho à ses journées passées à couper, scier, clouer, assembler sur l’établi familial.

Élise Fouin dans son atelier parisien - © Élise Fouin

Étudiante avant-gardiste

À Boulle, Élise Fouin débute son cursus par une formation à l’orfèvrerie. Durant trois années, elle apprend la technique, la minutie, la précision, le sens du détail. Puis, elle enchaîne avec un diplôme en design produit et mobilier. Un double savoir et un double savoir « bien faire ». Son profil sort du lot. Pourtant, en 2003, son mémoire sur le recyclage et son œuvre de fin de cursus, à partir de papier récupéré, ne font pas l’unanimité à Boulle. Un brin trop avant-gardiste, l’étudiante. La légèreté d’un processus, en termes d’impact sur l’environnement, ne convainc pas encore tout le monde. Peu importe. Élise Fouin assume ses pas de côté. Ce qui va plaire à Andrée Putman, qui l’embauche dans son agence parisienne. « J’ai le souvenir d’une femme à l’esprit vif, curieuse de tout et volontiers décalée », confie Élise Fouin tout en terminant son café. La suite : un poste au département d’architecture des Galeries LaFayette, un passage aux Ateliers de Paris et l’arrivée à la Villa du lavoir en 2019.

Vase « Bulle » - © Élise Fouin

« Le défi me plait »

« Je ne me suis jamais dit : je serai designer. J’ai une approche plus intuitive de la discipline, j’avance à tâtons, je fais des ponts entre différents univers, entre le design et les métiers d’art. » Élise Fouin ne raisonne pas « plan de carrière ». « Le défi me plait », souligne la tête chercheuse. La preuve : elle est capable de concevoir aussi bien des luminaires qu’une table à jeux, des vases, des meubles de cuisine pour La Cornue ou encore un service de table pour la Halle aux grains, écrin gourmand et parisien de la famille Bras. Elle sait aussi offrir une seconde vie aux matières délaissées. Et ce qu’elles soient en papier, bois, métal, verre, tissus, plastiques… tout est bon pour les terrains de jeux de la designer. « J’ai toujours travaillé dans cet esprit de faire avec moins de matière, tout en misant sur la modularité d’un objet. En ce sens, je me sens proche de l’école néerlandaise et de designers comme Maarten Baas ou du collectif Droog Design. » Pour la maison Forestier, par exemple, ses lampes « Circus » sont réalisées à partir de chutes d’abat-jour récupérées dans les ateliers de la PME, à Bègles. Quant aux vases « Needle », imaginés pour l’inauguration de la galerie Karine Jousse, à Paris, ils sont issus de l’assemblage de chutes de baguettes de verres de Murano servant à créer les têtes d’épingle de la manufacture Bohin. Dernier exemple, à découvrir sur le salon EquipHotel, du 6 au 10 novembre 2022 à Paris, Porte de Versailles : le lit « Millefeuille ». Cette collaboration avec le fabricant Maurice & La Matelasserie met en avant l’invention d’un matelas multi-couches, à la fois personnalisé – car adapté à la morphologie de chacun -, évolutif et durable : plus question de se débarrasser de la totalité du matelas au moindre affaissement. Il suffit de changer la seule couche défaillante, que l’on recycle ensuite.

Lit « Millefeuille », issu de la collaboration entre Élise Fouin et le fabricant Maurice & La Matelasserie.

Vase « Needle » - Galerie Karine Jousse - © Élise Fouin

L’amorce d’un tour de France…

« Aujourd’hui, les jeunes designers sont moins formatés qu’il y a vingt ans. Ils sont plus audacieux aussi, plus collectifs. Ils attendent moins de l’édition, ils font par eux-mêmes et utilisent les réseaux sociaux pour montrer leur travail. C’est une nouvelle liberté. Par ailleurs, ils ne font pas de distinguo entre grande série et pièce unique. Ils utilisent des matériaux aux formes imparfaites, issus de la récup’, ils mélangent : j’appelle ça l’esthétique du crade ! Mais, au final, c’est plus expérimental, plus artistique et je me sens assez en phase avec cet esprit, cette façon de faire. » Élise Fouin fuit les styles et les modes. Son moteur, c’est l’instinct, ce qu’elle sent, ce qu’elle ressent. Dans le tour de France qu’elle a amorcé en 2021, elle est sur cette longueur d’onde. L’idée : « Partir à la recherche d’échanges fructueux entre le design et les savoir-faire des artisans au sein de petites entreprises patrimoniales. » Sa première étape : chez elle, en Franche-Comté, où elle a choisi la Verrerie La Rochère, maison créée en 1475 et réputée pour ses lampes Art Nouveau en pâtes de verre trempé. Là, Élise Fouin a créé, in situ et en auto-édition, une série de huit lampes à poser, à partir de plusieurs couches de verres colorés et de chêne issu des forêts de Bourgogne. Une deuxième escale a eu lieu à Ortez, chez le tisseur Moutet, spécialiste du linge basque, où la designer a expérimenté le tissage jacquard, dans la perspective également de réaliser une série de huit créations sur place. Un « road trip » qui ne fait que commencer… Parce que le durable ne passe pas que par la récup’ et le recyclage. C’est aussi une histoire de couleur locale, transmission de gestes, matières et matériaux à redécouvrir. La designer parle de « retour à la source ». Une façon de garder les pieds sur terre et les mains dans la terre. Une façon aussi de continuer d’explorer, rencontrer, échanger, partager. Surtout ne pas se reposer sur ses lauriers, même si certains de ses objets font déjà partie des collections permanentes du Musée des Arts décoratifs, à Paris.

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Élise Fouin est aussi ICI.

Élise Fouin et ses suspensions « Tumulys », tissées par la Manufacture Jules Pansu - © Élise Fouin