Elle a vu le jour à Nancy. Mais c’est dans les Vosges que Simone Pheulpin a grandi. Un terrain de jeu que l’artiste partage, aujourd’hui, avec Puteaux, où elle vit aussi. À 80 ans, elle crée et sculpte toujours, fidèle au coton, sa matière première. Son compte Instagram affiche plus de 8 200 « followers » et le Musée des Arts Décoratifs (MAD), à Paris, lui consacre une exposition du 7 décembre 2021 jusqu’au 16 janvier 2022. L’occasion de découvrir son travail singulier, audacieux, original, basé sur le pliage, la répétition, l’accumulation. Pour Simone Pheulpin, l’autodidacte, pas un jour sans plier, replier, prendre le pli, jusqu’à s’en éprendre. Et ce, depuis près d’un demi-siècle.

Des parties de cache-cache dans les manufactures textiles

Assise dans une salle de réunion du MAD, elle enchaîne les interviews. Comme une star, les artifices en moins. Simone Pheulpin ne se la joue pas. C’est d’ailleurs son naturel qui bluffe d’emblée. Aux antipodes de la suffisance de certains faiseurs. La gamine des Vosges, qui jouait avec ses copains dans les manufactures textiles que son père alimentait en électricité – « il gérait une régie électrique » -, a gardé une spontanéité, une simplicité, qui colore de légèreté une conversation avec elle. « Quand j’étais petite, je voulais devenir la secrétaire de mon père. » Une façon d’être au plus près de lui, l’écouter, l’aider, l’accompagner. Simone Pheulpin prend plaisir à se souvenir de sa jeunesse vosgienne. Pas d’artistes dans sa famille, mais des parties de cache-cache derrière les immenses rouleaux de tissus et des cours du soir, « par curiosité », aux Beaux-Arts de Nancy.

Croissance III, 2015, par Simone Pheulpin - © Antoine Lippens © Adagp, Paris, 2021

« Je découvre en faisant »

La sculpture textile, c’est arrivé comme ça, sans prévenir, telle une effraction. « Je confectionnais des panneaux décoratifs colorés pour mes enfants, que je doublais avec des bandes de coton. Un jour, j’ai eu envie de manipuler autrement ce coton. Je n’ai pas d’autre explication. J’ai eu envie de le faire. Je l’ai fait », raconte Simone Pheulpin. Nous sommes à l’orée des années 1980. La première pièce qu’elle réalise ? Une compression de petits rouleaux de coton, de tailles inégales, qu’elle range dans une boîte en fer, « parce que je n’arrivais pas à les faire tenir ensemble, même avec des épingles ». Elle apprend sur le tas, multiplie les essais, les tentatives : « Je découvre en faisant. » Ses sources d’inspiration ? « Tout ce que je vois. Des racines aux paysages urbains, en passant par les camions qui transportent des cylindres ou les sillons creusés sur le sable d’une plage. » Quant à sa technique, elle repose sur des bandes de coton brut, écru, que l’artiste forme, déforme, transforme en coquillage, mousse, écorce, pierre fossilisée… Le tout maintenu, soutenu, révélé par un subtil assemblage et enchevêtrement d’épingles. Une mono-matière, monochrome, associée à un geste quasi monomaniaque, car proche de l’obsession, qui donne vie à des sculptures aux airs de trompe-l’œil. « Un travail lent », précise l’artiste. Il lui faut plusieurs mois pour finaliser une pièce et « poser la dernière épingle ».

Sélectionnée à la Biennale internationale de Lausanne

Elle aime « bien faire ». Mais sans diplôme d’école d’art, ni piston, comment sortir de l’ombre ? Ce sont les premiers encouragements de ses proches qui poussent Simone Pheulpin à participer à des concours. En 1987, la Biennale internationale de Lausanne la sélectionne, section « art textile contemporain » : « Il n’y avait que deux Français en lice », souligne-t-elle. Mais cela ne suffit pas à convaincre les galeries, « très réticentes face à la sculpture textile ». Au début des années 1990, c’est une expo collective à New York qui marque un tournant dans le parcours de l’artiste. Là, elle commence à « y croire vraiment ». Puis, en 2008, Florence Guillier Bernard décide de la représenter dans sa Maison Parisienne : « Le responsable d’un Fonds régional d'art contemporain (Frac) m’avait suggéré de rencontrer Simone Pheulpin. Je l’ai fait. Ça a été le coup de foudre ! Mieux encore : la première pièce vendue chez Maison Parisienne a été une œuvre de Simone… » De fil en aiguille, le palmarès de la « plieuse » a de quoi faire des envieux : Grand Prix de la Création de la Ville de Paris en 2017, Prix d’honneur du Loewe Craft Prize en 2018, doublé la même année d’une commande du Victoria & Albert Museum, à Londres… Quant au MAD, en marge de l’exposition de cet hiver, il a déjà intégré trois œuvres de Simone Pheulpin dans ses collections.

Triptyque, 2020, par Simone Pheulpin - © Antoine Lippens © Adagp, Paris, 2021

« Je continue de sculpter, parce qu’avec ça je me sens libre »

Ses ateliers, dans les Vosges et à Puteaux, se résument à « une pièce à vivre ». À savoir un espace dépourvu de cloison, où salon, cuisine, bureau font cause commune. Simone Pheulpin peut ainsi créer à même la table où elle dressera, quelques heures plus tard,  le couvert pour déjeuner ou dîner. Pas pour elle, donc, l’âge de la retraite. « Je continue de sculpter, parce qu’avec ça je me sens libre. » Une liberté un brin engagée : elle utilise un coton des Vosges et puise dans la dernière manufacture d’épingles de couture française. Au MAD, elle a eu carte blanche pour ouvrir le dialogue entre une quarantaine de ses sculptures et des œuvres du parcours historique du musée parisien. Ses créations investissent les collections XVIIIe, Art nouveau et Art déco. Elles se retrouvent ainsi intégrées au décor intérieur signé Louis Majorelle, figure de l’École de Nancy, ou encore aux appartements de Jeanne Lanvin aménagés par le décorateur Armand-Albert Rateau. Une prouesse scénographique qui offre une nouvelle perspective sur le travail de la designer textile. Un autre regard sur un talent révélé sur le tard. Celui d’une plieuse accomplie.

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Exposition Simone Pheulpin, plieuse de temps, jusqu’au 16 janvier 2022 au MAD : 107 rue de Rivoli, Paris 1er. Du mardi au dimanche, de 11h à 18h.  Nocturne le jeudi jusqu’à 21h.

Et aussi : le livre Simone Pheulpin, monographie diffusée en exclusivité à la librairie du MAD jusqu’au 16 janvier 2022. Editions Cercle d’Art - 45€