Pour installer les bureaux de son agence Networks, il a choisi l’Ile de Nantes. A deux pas de l’école d’architecture et du palais de justice, imaginé par Jean Nouvel. Un quartier neuf. Un quartier nantais qui attire les nouveaux arrivés. C’est le cas du designer Amaury Poudray, qui a posé ses valises en Loire-Atlantique depuis peu. Avant, il était à Lyon. Une ville où il a beaucoup collaboré avec l’Institut Paul Bocuse, son premier « client ». Il y a même enseigné. Car ce qui se mange et ce qui se boit l’inspirent. La preuve : juste avant de quitter Lyon, il a signé le salon de thé Xing Cha, rue des Remparts d'Ainay. Mais le designer aime se frotter à une variété d’univers. A 35 ans, il a aussi bien dessiné des assises pour Ligne Roset ou des pièces de mobilier pour Mirima, que créé une série d’objets en verre et cuivre, des paravents, sans oublier les cabas faits de chutes de production de la Société Choletaise de Fabrication (SCF). Cholet : c’est là qu’il est né. En 1985. Pas de designer dans la famille. Juste un père qui savait manier le crayon. Ce qui a dû donner des idées au jeune Poudray, un rien précoce : « En primaire, je dessinais des Donald et des Mickey que je distribuais dans la cour. »

« C’était la première fois que je prenais l’avion… »

Ado, il est doué. Dès la 5e, Amaury Poudray fréquente un école d’arts plastiques chaque samedi matin. « J’avais des cours de sérigraphie, gravure, graphisme, dessin au fusain… » Suite logique : il décroche un bac « arts appliqués » à Bressuire, enchaîne avec un BTS « design produit » aux Herbiers, puis intègre l’Ecole supérieure d’art et de design de Saint-Etienne (ESADSE). Là, ses profs s’appellent Claire Fayolle, Eric Jourdan… Curieux de nature, l’étudiant ne se contente pas de l’environnement stéphanois pour s’épanouir. Il fait un échange à la Rhode Island school of design : « C’était la première fois que je prenais l’avion, se souvient-il en souriant. Là-bas, j’ai appris la soudure et le travail du bois, dans des ateliers ouverts jusqu’à minuit. » 2009 : c’est l’année de son diplôme à l’ESADSE et « celle du démarrage de ma vie d’entrepreneur », souligne le designer. Car Amaury Poudray aime la liberté, la marge de manœuvre, les rencontres qui confrontent les points de vue et les voyages qui changent la vie. En 2011, il est accepté pour une résidence d’un an à la Fabrica, l’école-laboratoire pour jeunes talents créée par la marque Benetton, dans un village près de Trévise. A son retour, ce sera Lyon pendant dix ans, puis Nantes aujourd’hui.

Des mots simples, des phrases justes

Pour Amaury Poudray, l’arrivée à Nantes, c’était pour se rapprocher de ses parents et de ceux de sa femme. C’était aussi pour changer d’environnement avec la naissance annoncée d’un enfant. Mais la vie joue des tours. Parfois des mauvais. Un jour de novembre 2019, le designer apprend qu’il est arrivé « quelque chose » à sa femme enceinte de 7 mois et demi. Panique. Hôpital. Urgences. Coma. Puis, décès. Du jour au lendemain, Amaury Poudray se retrouve seul avec un bébé, dans une ville qu’il découvre encore, avec un premier confinement quelques semaines plus tard. Quand il raconte ce drame et cette période violente, douloureuse, c’est avec beaucoup de dignité, un recul qui impressionne, des mots simples, des phrases justes. Pas évident, pourtant. Ce qui l’a aidé : son voyage à travers la France, avec sa fille, durant l’été. Un périple de 25 jours, 4 000 kilomètres, ponctué d’amis à voir, d’expos à faire – « avec ma fille de moins d'un an dans le porte-bébé » -, le tout dans le « Caddy Maxi » que le designer s’est offert pour l’occasion. Une voiture XXL qu’il a aménagée pour y dormir et faire la route en s’arrêtant où il veut, quand il veut. Depuis, il privilégie le présent, « la densité de l’instant », comme il dit. Ses créations, ses chantiers en cours, il les voit désormais d’une façon plus « radicale », engagée, assumée. Avec des savoir-faire locaux et des territoires mis en avant, incarnés par des artisans. A l’instar de sa collection de mobilier en bois, baptisée « Monacal ». Un travail mené avec l’ébéniste Jean d’Harcourt, à partir de souches d’arbres récupérées, et sélectionné parmi les trois finalistes du prix Dialogue de la Fondation Bettencourt Schueller. « Monacal » sera également exposé, courant 2021, dans la cathédrale de Rieux-Volvestre. Car Amaury Poudray se projette dans l’avenir. Même si celui-ci risque d’être peuplé de masques, gestes barrières et flacons de gel hydroalcoolique, le designer a envie de « faire », voir, partir, investir de nouveaux espaces. Son moteur ? « Ma fille, Marthe. »