Elle s’appelle S 33. Elle est née à la fin des années 1920. C’est la première chaise à deux pieds imaginée par un architecte. A savoir : Mart Stam. Sa femme, alors enceinte et souffrant d’atroces douleurs au dos, le met au défi de lui créer l’assise idéale pour vivre au mieux sa grossesse. Parce qu’un objet cache bien souvent une histoire, un point de départ inattendu. Celui de la S 33, c’est la quête d’un certain confort à quelques mois de donner la vie. Pas banal. Pas courant non plus la façon dont l’architecte néerlandais va esquisser les premiers traits de la chaise : « On dit que c’était lors d’une fête à Stuttgart, avec les membres du Bauhaus. Mart Stam aurait crayonné un tout nouveau principe de chaise au dos d’un carton d’invitation. La chaise cantilever, à la fois stable mais flexible, est née comme ça. A l’époque, on disait que son effet de balancement donnait l’impression d’être assis dans l’air. » C’est Norbert Ruf qui le confie à 1 Epok. Qui est-ce ? Le directeur de création et gérant de Thonet, la maison qui fabrique la S 33 depuis 1930. Oui, ça fait un bail.

Quand une idée est bonne, on rapplique, on duplique…

Quand la S 33 est arrivée sur le marché, le public a adoré et adhéré illico. Les archis aussi. « Ludwig Mies van der Rohe a été tellement impressionné par la typologie de la S 33, qu'il a repris le concept et développé la chaise cantilever S 533, sur la base du premier design de Stam. Un an plus tard, c’est Marcel Breuer qui s’en est inspiré et a présenté sa chaise pivotante S 32 », raconte Norbert Ruf. C’est bien connu : quand une idée est bonne, on rapplique, on duplique. Il faut dire qu’une chaise dépourvue de piètement à l’arrière avait quelque chose de « révolutionnaire », reconnaît le gérant de Thonet. Une prouesse, à la fois technique et esthétique, rendue possible grâce à l’utilisation de l’acier tubulaire, matériau alors nouveau dans l’univers des pièces de mobilier.

Norbert Ruf vu par le photographe Philipp Thonet.

On a grandi, la S 33 aussi !

Près d’un siècle plus tard, la S 33 a toujours la cote. « Nous la produisons encore. Elle fait partie de l’héritage de notre entreprise », explique Norbert Ruf. Est-elle un copié-collé du modèle de 1930 ? Pas tout à fait. « Comme la population a grandi de deux centimètres depuis, nous avons légèrement augmenté la hauteur de l’assise », précise le directeur de création. Résultat : la S 33 résiste à l’épreuve du temps. Elle est devenue l’un des classiques chez Thonet. Et ce d’autant que « les meubles en acier tubulaire représentent aujourd’hui près de la moitié de notre chiffre d’affaires, dont une grande partie provient des ventes de la S 33 », détaille Norbert Ruf. En défiant son mari, l’épouse de Stam ne savait pas qu’elle serait à l’origine d’une pièce « best-seller », intemporelle et donc iconique.