Confessions de confinés # 15

Ils sont écrivains, musiciens, designers ou photographes. Ces « enfermés bien inspirés » parlent de leur confinement. Confessions en 3 questions, illustrées en 1 image

 

Frédéric Lecourt, designer : « En Creuse, l’isolement est très simple à gérer »

 

Toujours inspiré par temps de confinement ?

F.L. : D’un point de vue personnel, le confinement ça n’existe pas. La porte de l’imaginaire reste toujours ouverte dans ma tête et la moindre flânerie est source de réflexion, de voyage ou d’idée… Alors l'ennui est un puissant carburant pour l’imagination, il est propice à la création. Par contre le manque d’interaction sociale, lui, est très pesant. L’humain étant un être social, et adaptatif, après quelques jours de sidération, chez les Sismo nous sommes passés en mode résilience pour reprendre et continuer nos projets de design avec nos clients. Réinventer la manière de faire un workshop créatif en groupe, créer des moments aléatoires pour continuer à « croiser par hasard » les personnes de l’équipes, ou appeler nos clients juste pour prendre des nouvelles. Tout cela devient des pratiques essentielles. Et puis on prend soin de partager ces nouvelles pratiques de contournement, de résistance et de ruse d’évasion avec nos réseaux. Par exemple, j’ai proposé d’emmener en balade des designers de l’équipe, à Dakar, dans les rues de mon enfance, en se promenant sur streetview . J’ai visité un musée d’art contemporain aux Etats-Unis avec un ami… Bref, résister en étant créatif, prendre soin des autres et continuer à rêver.

La dernière image postée sur les réseaux dits « sociaux » ?

F.L. : Les deux dernières photos partagées sur les réseaux sont, une capture d’écran d’une réunion joyeuse de toute l’agence en visio, et une photo des flammes de notre forge. Et oui, une forge... Car je suis confiné en Creuse, où l’isolement est d’ailleurs très simple à gérer. Ce qui résonne avec un ré-encrage avec la nature et la proximité immédiate des choses. Je ne pensais pas que ma légère tendance à rester sur le « qui-vive », anticipant finalement ce genre de situation, soit mise en œuvre aussi tôt. À la Commanderie de Lavaufranche (ci-dessous), où je suis donc confiné, nous avons depuis plusieurs années anticiper l’idée d’être autonome en eau, mettre en route un verger en permaculture, planter une forêt comestible, s’équiper d'un atelier bois, d'une forge, nouer des partenariats avec les agriculteurs locaux et, bien sûr, équiper le lieu de toutes les technologies pour travailler à distance… Le nez creux comme diraient certains Creusois ! C’est juste la conviction que l’on prend trop souvent des choses comme acquises, alors qu’elles reposent sur un très fragile écosystème. C’est d’ailleurs cette vision du monde qui nous a poussés à tendre dans nos pratiques professionnelles vers le «  design with care », regarder nos projets et le monde en essayant de détecter et corriger les zones de fragilité.

La priorité, une fois déconfiné ?

F.L. : Après cet épisode, on va continuer nos efforts pour prendre soin de tous ces paramètres, aussi bien personnellement que professionnellement, et continuer d’insuffler un savoir-être pour tendre vers un monde plus tenable. Les oreilles vont probablement encore plus accepter d’entendre qu’il est temps de changer nos imaginaires de futurs, nos modes de conception, de s’attaquer aux fragilités des systèmes et de réinventer un art de vivre ensemble.